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forme aristocratique, l’autre sous la forme monarchique ; l’une par le triomphe de la révolution en 1688, l’autre par l’ascendant de Louis XIV. Cela est vrai ; mais ce qu’il faut bien remarquer, c’est que, tandis que la forme aristocratique en Angleterre est demeurée jusqu’à présent progressive, c’est-à-dire apte à se plier aux exigences sociales, la forme monarchique en France ne tarda point à devenir stationnai re et même rétrograde. Ce fut la vieillesse de Louis XIV qui infligea à la monarchie ce funeste caractère, présage d’une si formidable tourmente. Parvenu au plus haut de sa gloire et de son efficacité, il fallait apercevoir que ceci n’était qu’un point culminant d’où le regard s’étendait vers la révolution pacifique ou violente, mais inévitable. L’homme d’état, le souverain, incapable du nouveau rôle que la fin du siècle lui assignait, et ayant trop vécu pour son pays et pour lui, devint assez chimérique pour s’imaginer que sa monarchie ne réclamait aucun amendement. La sénilité s’empara de lui au moment où besoin était de plus de clairvoyance et de force, et, quand le petit-fils de Louis XV monta sur le triste échafaud, l’aïeul Louis XIV n’était pas pour peu dans ce fatal dénoûment de la lutte entre le roi et le peuple.

La sénilité, je ne puis vraiment pas caractériser autrement ce qui advint, la sénilité se continua sous Louis XV. Ce prince, beau et spirituel, livré aux femmes, livré à la dévotion, absolu, fut l’héritier et le vrai fils du vieux Louis XIV. Rien ne fut changé dans la raison d’état, mais la raison d’état n’était plus que nominale. Le gouvernement n’embrassait qu’une ombre, et la société française lui avait échappé. Ainsi livrée à elle-même, l’ébullition commença, réglée, dans son désordre apparent, par la nature des élémens que son passé avait déposés et des combinaisons qui devaient se former. Quand on lit ce que les savans ont écrit sur les époques géologiques et sur les mutations de sol et d’êtres vivans, c’est un des plus vifs regrets de l’esprit que de n’avoir point assisté à quelqu’une de ces solennelles représentations dont notre globe a été le théâtre. Eh bien ! là, en plein XVIIIe siècle, dans l’ordre moral, qui est le plus grand, l’esprit assiste à la formidable décomposition et recomposition d’une vieille société. Déjà à la surface qui bouillonne on peut discerner les deux tendances, l’une de ceux qui s’élanceront vers l’avenir, l’autre de ceux qui s’attacheront au passé.

Heu ! quantum inter se bellum, si lumina vitæ
Attigerint, quantas acies stragemque ciebunt !


dit le poète. Quelle lutte terrible, dirons-nous, se prépare, si rien de favorable n’intervient ! Pendant ce temps, les flottes sont battues, les colonies se perdent, on est défait à Rosbach. De tout cela, on se soucie fort peu. Que sont en effet ces mauvaises chances dans