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c’est entre ces deux formidables périls qu’est encore aujourd’hui placée la cause italienne.

Cette double conspiration, ourdie par les révolutionnaires les plus déterminés et par les membres les plus habiles d’un clergé rétrograde, avait Rome pour centre; partie de Rome, la désagrégation gagnait nécessairement de proche en proche toutes les forces nationales. Deux fanatismes puissans attaquaient avec opiniâtreté les institutions représentatives, l’un parce qu’il y restait quelque chose de la vieille souveraineté, l’autre parce que le peuple y occupait une place; de plus, la congrégation étant convaincue que la démagogie ne pourrait jamais durer, et la démagogie ayant la même opinion sur la congrégation, elles faisaient volontiers les affaires l’une de l’autre afin de saper dans tous les cas la monarchie représentative, qui seule avait de l’avenir et seule les inquiétait. La dissolution, qui venait ainsi du point d’où l’on avait compté recevoir toute direction, pénétrait facilement dans toute la péninsule, armait l’église contre les libéraux et les libéraux contre l’église, calomniait les princes, irritait le peuple, dépeçait enfin l’Italie artificielle de Gioberti et de Balbo, qui, privée du pape, se mourait comme un corps sans tête. Tous les désastres du gouvernement pontifical étaient autant de coups portés au Piémont, qui n’avait pas su puiser ailleurs qu’à Rome une force morale pour suffire à sa tâche.

Les agitations qui aboutirent à la défaite de Novare ne furent donc accompagnées d’aucune illusion. Au contraire les défiances se montraient excessives. La vie de Charles-Albert et celle de Balbo étaient appelées en témoignage contre eux-mêmes; on cherchait matière à soupçons dans les actes de l’un et dans les écrits de l’autre. Les Speranze, en parlant d’arrangemens amiables avec l’Autriche, laissaient supposer que Charles-Albert n’avait contre l’ennemi national d’autre grief que celui d’une ambition contrariée et facile à satisfaire. La guerre, disait-on, n’était peut-être pour le roi qu’un moyen de mettre à un plus haut prix une défection imitée de celle du pape, car il s’était trop lié au pape, qui maintenant perdait tout. On ne voulait pas se souvenir de la contrainte qui avait pesé sur le roi et sur son interprète, on les prenait au mot; on constatait le despotisme prolongé de Charles-Albert et la timidité pieuse de César Balbo; on leur faisait un crime de ce qui avait été leur supplice. On a pu voir combien ces deux hommes avaient conservé, sous l’impression d’une violence morale trop prolongée, l’unité de leurs véritables convictions; mais qui donc savait cela? Comment imaginer que cette hautaine figure de Charles-Albert, si rude au combat, avait été dix-sept ans humiliée sous la discipline des congrégations? « Pourquoi, s’écriait-on, ce libérateur vient-il si