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tard? Que n’a-t-il commencé chez lui depuis longtemps? Comment se montre-t-il si généreux envers les Italiens, après avoir pesé si lourdement sur son peuple? Ses longues années d’absolutisme sont-elles des antécédens qui doivent rassurer? N’a-t-on pas lieu de suspecter la sincérité de cette intervention, inspirée peut-être par la crainte du poignard républicain, et prête probablement à s’éclipser devant les premières menaces de l’Europe malveillante? » Ainsi parlait la foule, égarée par les sociétés secrètes, et le désordre dépassait toutes limites.

Un désastre comme celui de Novare était le dénoûment inévitable d’une pareille situation. La campagne de 1849 n’était pas la reprise d’une tentative téméraire, c’était un déchirement qui continuait, une explosion qui finissait, de fausses positions qui achevaient de se dégager. Les embarras étaient si grands, que pour en sortir on jeta une armée démoralisée sur un champ de bataille mal choisi, comme un joueur à bout de ressources jette les dés au hasard. La conflagration intérieure précipitait la nation aux frontières par une fatalité semblable à celle qui entraîna vers le Rhin les volontaires français de 1793. Les plus clairvoyans étaient désorientés, les plus énergiques ne savaient où se prendre. On s’en remit au roi, comme Balbo le conseillait à la chambre : le roi voulait la guerre, parce qu’il voulait mourir. Non-seulement les deux partis anti-constitutionnels, les absolutistes et les républicains, poussaient à la guerre, mais le sentiment public partageait cette sorte d’ivresse funèbre, qu’on exprimait par un mot frappant : le besoin d’en finir. Charles-Albert et Balbo se sentaient reportés aux plus mauvais jours de leur existence passée. Privés de tout appui, placés de nouveau entre une démocratie frappée de vertige et la cour de Rome retombée dans son aveuglement, ils se reprenaient à chercher l’étourdissement des batailles. On jeta le cri suprême : « En avant! » et ce fut comme un cri d’angoisse. Le roi ne croyait pas s’être trompé; mais aux yeux du pape, qui l’accusait d’erreur, et à ceux du peuple, qui l’accusait de trahison, il désirait que son propre sang le lavât de tout reproche. C’est ainsi qu’on le vit à Novare courir au danger comme un insensé, et le poursuivre encore après que la bataille était finie. Il se laissait aller tête baissée au tourbillon qui l’emportait de Novare à Oporto, de la défaite à l’exil et à la mort. Il s’immolait à la cause qu’il avait longtemps portée dans le secret de son cœur, sous la torture d’une obsédante inquisition. Quelque influence qu’aient eue sur ses résolutions les agitations de l’Europe en 1848, il n’est pas permis de dénier à l’unité de sa vie politique la justice qui lui est due. Tout ce qu’on lui laissa de volonté tendit sans cesse au même but. Dans sa première jeunesse comme à son dernier jour,