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présens qui lui importaient peu, environné de ce brillant cortège, dont la splendeur inaccoutumée ne l’éblouissait pas et ne parvenait pas à le distraire de ses tristes pensées, Photos fut conduit au palais du vizir et introduit en sa présence. Jamais on ne vit Ali déployer tant de grâce, d’affabilité et de doucereux artifices pour séduire un ennemi. Photos Tsavellas écoutait avec une impatience difficilement contenue le torrent de paroles menteuses par lesquelles Ali s’efforçait de le captiver et d’arriver le plus adroitement possible au véritable sujet de l’entretien. Il y vint enfin, et lui demanda nettement de mettre Souli en son pouvoir.

— Ce que tu me demandes là, répondit Tsavellas, j’aurais pu le faire peut-être avant de venir ici; les Souliotes avaient alors confiance en moi. Maintenant que j’ai franchi le seuil de ton palais, je crains fort qu’ils ne me prennent pour un autre Botzaris, et qu’ils n’ajoutent plus aucune foi à mes paroles.

— Eh bien! reprit le vizir, laisse ceux qui ne voudront pas t’entendre; fais seulement sortir de Souli ta tribu et les gens qui consentiront à la suivre. J’accorderai à vos familles la résidence qui leur plaira; vous pourrez tous aller et venir à votre gré par toute l’Épire. Et alors, ajouta-t-il avec un éclair de sinistre augure dans le regard, je réponds que tous ceux qui seront restés envieront votre sort.

Photos consentit à tout, et donna au pacha sa parole qu’il reviendrait à Janina, quel que fût le résultat de sa mission. Dès qu’il fut arrivé à Souli, Tsavellas n’eut pas de peine à prouver à ses compatriotes qu’ils couraient à leur perte, et qu’Ali ne songeait qu’à les tromper. La torpeur qui s’était emparée des montagnards se dissipa en un moment. Ils confessèrent à Photos leur injustice à son égard, jurèrent de lui obéir désormais aveuglément, le supplièrent de ne plus s’éloigner d’eux, et s’engagèrent à rebâtir à leurs frais sa demeure incendiée. Renonçant aux illusions qu’ils avaient caressées, ils se préparèrent tous à combattre. En voyant ses compatriotes revenus à eux-mêmes, Photos regretta un instant le serment qu’il avait fait de retourner à Janina; mais il était lié par sa promesse, et sa résolution était irrévocable. Sourd à toutes les supplications, il reprit le chemin de la capitale de l’Épire. L’idée ne lui vint pas de se soustraire à la vengeance d’Ali. Esclave de sa parole, il cédait à sa triste destinée, et courbait la tête sans murmure sous la fatalité qui le poursuivait. Ayant mesuré froidement la grandeur de son sacrifice, il l’accomplissait avec cette force d’âme dont l’âpre montagne semblait avoir doué son fils et son héros.

A peine arrivé à Janina, Photos fut plongé dans les cachots souterrains de la citadelle. Plus préoccupé du sort de sa patrie que de