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concédèrent des terres à cultiver; mais ces hommes ne purent s’accoutumer à une vie tranquille et régulière. Ils ne tardèrent pas à demander aux agitations qui remplissaient alors l’Europe l’aliment que réclamait leur dévorante activité. Les uns passèrent en Russie, les autres en France, d’autres en Italie. A partir de ce moment, l’histoire ne dit plus rien de Tsavellas; on sait seulement qu’il prit du service en Russie, et qu’il revint, au bout de peu d’années, à Corfou pour y rendre le dernier soupir, après avoir vainement attendu l’occasion de repasser dans sa patrie et d’y rallumer la guerre.

Photos Tsavellas restera célèbre à jamais dans les glorieuses annales de son pays. Son incomparable valeur, sa grandeur d’âme et ses tragiques infortunes, thèmes favoris des improvisateurs de l’Epire, ont fait de ce klephte la figure la plus énergiquement accentuée et en même temps la plus touchante des ballades populaires, qui, réunies et coordonnées par quelque rapsode de génie, formeront peut-être un jour l’épopée héroïque de la Grèce moderne. On put croire un instant que le mâle patriotisme qui avait animé Photos s’était éteint dans la dernière catastrophe de Souli. Loin de là : le sublime exemple donné par la montagne n’était pas perdu. La Grèce comprit la réelle faiblesse de ses barbares oppresseurs en assistant à cette lutte, où, pendant trois années consécutives, quinze ou dix-huit cents hommes s’étaient défendus intrépidement contre les nombreuses armées du plus puissant pacha de l’empire; elle apprit ainsi ce qu’elle pourrait faire le jour où elle se lèverait toute entière contre ses dominateurs, et dès lors elle commença à secouer sourdement ses chaînes. Concentrée jusque-là sur les hauts sommets et comparable à un incendie qui, du faîte de l’édifice, se transmet aux étages inférieurs, l’insurrection descendit peu à peu dans les plaines et dans les villes. Bientôt elle allait éclater sous l’impulsion d’un homme qui, aussi grand que Tsavellas par le courage, avait sur le polémarque de Souli les avantages de l’expérience, et qui sut profiter des enseignemens salutaires que renfermaient les infortunes de la Selléide. En attendant le jour où Rotzaris, succédant à Tsavellas, vint transformer la lutte de montagnes en une guerre nationale, les débris glorieux du peuple de Souli, répandus en Europe, réveillèrent, par le récit de leurs exploits et de leurs malheurs, le souvenir de la Grèce depuis longtemps oubliée. Ils semèrent ainsi les premiers germes de cette sympathie enthousiaste qui se manifesta plus tard en faveur des Hellènes, et qui contribua principalement à faire triompher l’indépendance grecque, en assurant à cette noble cause le généreux appui de la France.


E. YEMENIZ, consul de Grèce.