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et qu’il avait grandi sous le ciel espagnol. Le sang qui gonflait les veines dont sa peau bronzée était sillonnée enfermait, comme les vins de son pays, toute sorte de brillantes ivresses. Son âme et sa chair recelaient également du feu. C’est ce qu’à présent surtout il faut se rappeler.

Après quelques expéditions où il avait montré ce qu’il valait, Cruentaz obtint un de ces commandemens isolés qui ont donné si longtemps une attrayante originalité à la vie militaire dans nos possessions africaines. La ville où on l’envoya s’appelait Hirca. C’est une ville dont je suis obligé de dire quelques mots, parce que je crains qu’elle ne soit inconnue à nombre de ceux qui ont visité l’Afrique. Elle est sur la même ligne et située à peu près de la même manière que Boghar. Devant elle s’étendent de vastes plaines qui ne sont pas encore le désert, mais où l’on ne peut pas s’engager cependant, même par le regard, sans se sentir déjà envahi, pénétré du charme émouvant des solitudes. Derrière s’étend le Tell, c’est-à-dire le pays cultivé, la région des rivières, des arbres et des montagnes, la part enfin que Dieu a faite aux hommes à côté des contrées qu’il semble s’être particulièrement réservées.

Hirca est bâtie sur une hauteur d’un aspect singulier. D’un côté c’est une colline, sinon riante, du moins toute remplie pour les yeux et pour l’esprit d’une sérieuse douceur; de l’autre c’est un âpre et sauvage rocher. La pente qui s’abaisse vers le Tell est sillonnée par des eaux courantes sortant de sources profondes ; ces eaux sont bordées d’arbres tristes, mais gracieux et dignes : ce sont des cyprès, dont le noir et immobile feuillage, quand il se dessine sur un ciel bleu, représente si bien la mélancolie humaine, les pensées qui, dans les âmes envahies avec le plus de puissance par la lumière de la vie, restent debout, immobiles et graves ; ce sont ces oliviers qui ne se sont pas vainement associés aux veilles et aux souffrances d’un Dieu. La rampe qui conduit au désert est un chemin où aucune créature vivante ne se hasarderait volontiers. Imaginez-vous un de ces blocs de granit qui font rêver de combats mystérieux entre des êtres d’une force surhumaine et d’une nature inconnue. Pas une plante, pas un brin d’herbe ne frissonne sur toute l’étendue de ce monde aride, qui semble une proie impérissable et impassible offerte aux ardeurs dévorantes du soleil. La maison qu’habitait Fabio était au bord de ce farouche escarpement. C’était une grande masure de construction arabe, offrant au ciel du désert des murs blancs et tristes comme un linceul, ne regardant le dehors que par de rares et étroites fenêtres garnies de barreaux, mais renfermant une cour d’un aspect poétique, une cour entourée de ces arceaux qui rappellent la gravité et le recueillement du cloître, rafraîchie