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crire, sa maîtresse se jeta dans ses bras, pâle, muette, éplorée, et après avoir pleuré silencieusement sur son épaule : — Il sera demain ici, lui dit-elle.

Fabio se laissa tomber sur un fauteuil, et mit sa tête entre ses mains. Cet événement, si facile à prévoir, fondait sur lui comme le plus soudain et le plus inattendu des malheurs. Après être resté quelques instans sans prononcer une parole : — Eh bien ! s’écria-t-il tout à coup en attachant sur Julia un regard plein d’une interrogation désespérée, quitte cette maison, et viens ce soir avec moi ; comprends-tu que nous puissions vivre l’un sans l’autre ? Est-ce que les heures qui passeraient sans nous réunir ne nous auraient pas tués bien vite !

Elle ne répondit pas. Elle restait immobile, les yeux levés au ciel, mais n’y cherchant pas et n’y rencontrant pas à coup sûr une pensée divine. Elle l’aimait cependant. C’était le premier homme qui avait éveillé en elle ce genre d’émotions dont nulle créature ici-bas n’est complètement déshéritée. Seulement, croyez-le bien, malgré tout ce qu’essaiera de murmurer à vos oreilles la voix des illusions impuissantes que vous appelez au secours de vos passions en des instans désolés, le dévouement ne peut naître que de la pureté. Le feu du ciel ne peut descendre que sur une victime sans tache ou lavée de toute souillure, et la pauvre Julia était trop chargée encore des misères de son passé pour obtenir de son cœur un élan qu’elle-même eût peut-être souhaité.

L’homme qu’on lui proposait de quitter, c’était le foyer, le foyer sans dignité, sans honneur, mais où la retenaient les liens de l’habitude et du bien-être ; c’était la route où chaque gîte est assuré, la jeunesse avec les caresses du luxe, avec les flatteries de la toilette, la vieillesse avec l’appui de l’argent amassé ; c’était le rêve prosaïque qui rend sombre et distrait le regard des plus belles courtisanes, alors que vous cherchez avec anxiété sur leur visage l’effet des paroles qui sortent embrasées de votre cœur. L’homme qu’il s’agissait de suivre, c’était l’avenir incertain, la voie dangereuse, la lutte de chaque jour.

— Fabio, s’écria-t-elle, mon ami, ne me demandez pas une résolution dont vous seriez désolé. Je ne puis être votre compagne, vous le savez. Nos existences n’étaient point faites pour se confondre. Notre amour, que je n’oublierai jamais, qui sera la seule joie de ma vie, n’était même pas destiné à vivre ce qu’il a vécu. Ce ne sont pas mes couleurs que vous deviez porter, mon pauvre chevalier. Quoique je vous aie bien tendrement aimé, je n’ai jamais été digne de cet honneur.

L’Espagnol eut un moment l’intelligence des vrais sentimens qui