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même que la critique se tait, désarmée ou découragée, l’incrédulité subsiste, non sans prétexte, il faut l’avouer. Dans le bilan de l’Algérie depuis 1830, la dépense excède la recette d’un chiffre considérable, et malgré toutes ses promesses la colonisation se réduit encore à quelques oasis éparses au milieu de solitudes incultes. En tout, l’effet produit paraît en extrême disproportion avec l’effort et la dépense. La population européenne dépasse à peine cent quatre-vingt mille habitans, dont plus de la moitié réside dans les villes, ne concourant pas à la production. La classe même des producteurs ne s’est installée et ne se maintient que grâce au bras tutélaire de l’état. On cherche en vain l’initiative hardie et la puissance créatrice des individus, double signe de toute virilité : le ton général incline plutôt au découragement et à l’inertie. Comment concilier tant de faiblesse avec tant de vitalité?

Les doutes que de tels spectacles suscitent dans les esprits ne se dissipent pas, si l’on observe la conduite de la France envers sa jeune colonie. L’amour de la mère-patrie semble plus sympathique qu’intelligent, plus guerrier que producteur. Elle aimerait sans doute à voir se peupler les rivages africains, mais elle ne fait rien pour y attirer les étrangers, encore moins pour y pousser ses propres enfans. Tout en dépensant beaucoup d’argent pour entretenir un grand état militaire, elle refuse les règlemens économiques les plus nécessaires. L’Europe, qui n’a point les mêmes facilités pour connaître l’Algérie, ne peut guère se montrer mieux disposée. Une sorte de renom populaire fait de notre grande colonie de l’Afrique septentrionale un vaste camp agricole, peuplé de serfs humblement courbés sous le sabre des officiers. D’un commun accord, la masse des émigrans va demander à l’Amérique une nature plus clémente, une liberté mieux assurée, une société plus fraternelle. Les capitaux et le crédit, plus méfians encore, fuient, comme les bras et les familles, une terre inhospitalière.

Tant d’hostilité ou d’indifférence nous afflige, et nous voudrions, par une étude sommaire des principaux aspects de la question algérienne, inspirée de nos propres souvenirs, montrer les causes du malaise réel là où elles sont réellement : tantôt dans les vices de l’organisation politique et administrative, découlant presque tous du rôle absorbant que l’état s’est attribué, et tendant à conserver la nationalité arabe au lieu de la laisser se décomposer, tantôt dans les prescriptions arbitraires qui ont souvent violé les lois du climat et dédaigné les conseils de la science. Le remède se trouvera indiqué non moins simplement, en dehors de toute invention excentrique et de toute merveilleuse panacée : — en premier lieu, dans le respect ou l’établissement par l’état de la liberté et de la propriété indivi-