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duelles chez les indigènes comme chez les Européens; — en second lieu, dans l’observation des lois immuables de la nature et des meilleures conditions économiques.


I.

De l’Algérie tout a été longtemps indécis, même le caractère politique et la nature des liens qui l’unissaient à la France. Aujourd’hui même, qui pourrait dire si elle est une colonie, comme la Guadeloupe et la Martinique, ou une simple continuation du territoire français, comme la Corse, ou bien une possession d’un genre particulier, intermédiaire entre la métropole et les colonies? Doute fâcheux, et qu’aurait dû prévenir à l’origine une déclaration légale, car à chacune de ces qualifications correspond un programme de gouvernement.

D’après une opinion qui eut, il y a douze ou quinze ans, plus de vogue qu’aujourd’hui, l’Algérie ne doit être qu’une continuation de la France par-delà la Méditerranée, une Corse africaine. Une formule exprimait cette théorie : « les trois provinces de l’Algérie doivent former les quatre-vingt-septième, quatre-vingt-huitième et quatre-vingt-neuvième départemens. » Il en serait résulté une ressemblance absolue quant à l’administration, l’application de toutes les lois civiles et politiques, la répartition des divers services publics entre les divers ministères : vaine atteinte à la nature même des choses, car entre les deux pays une soudure aussi intime n’est pas possible. L’obstacle n’est pas seulement dans les deux cents lieues de mer qui les séparent; il est surtout dans le trop vif contraste, qui va souvent jusqu’à l’antagonisme, entre deux sociétés, l’une mûrie par quatorze siècles de développemens réguliers, l’autre tombée en décomposition par trois siècles de barbarie turque; la première chrétienne, la seconde musulmane; celle-là de race indo-germanique, celle-ci de race sémitique. Opposition plus grave encore, tous les habitans du territoire français, citoyens de la même patrie, se rallient de cœur au drapeau national, tandis que, sur le territoire algérien, les neuf dixièmes de la population sont des ennemis vaincus de la veille, qui demain peut-être seront des insurgés, et dans le dixième restant, la moitié, originaire de tous les pays d’Europe, n’est sincèrement ralliée à la France ni par intérêt, ni par sympathie. À ces contrastes, puisés dans l’état social, dans la religion et les races, s’ajoutent ceux des langues, des mœurs, des climats : autant d’empêchemens, pour de longues années du moins, à cette homogénéité que supposent une incorporation de territoire et l’identité d’administration. Quel esprit, parmi les plus intrépides,