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nous a été donné de prendre part, nous avons curieusement observé avec quel scrupule la liberté s’y tenait à l’écart de la licence, et combien le patriotisme des majorités, leur sentiment du devoir personnel et de l’intérêt public contiendraient, si elles pouvaient se manifester, les ambitions dont on avait jusqu’alors redouté la turbulence et les prétentions. Rien de plus modéré en vérité que de telles réunions, qui, en fait de votes et de vœux, se sont montrées plutôt timides que téméraires; aussi les conseils-généraux nous paraissent-ils définitivement consacrés par cette prise de possession intelligente et mesurée de leurs pouvoirs. Les réformes que leur organisation réclame encore ne portent que sur des détails, dont quelques-uns pourtant méritent une mention spéciale : citons entre autres l’élection à substituer à la nomination officielle, le nombre des conseillers à augmenter, la durée du mandat à prolonger, modifications depuis longtemps introduites en France.

L’admission des indigènes a donné lieu à des critiques; on a invoqué contre eux leur connaissance imparfaite de la langue française, qui les réduit à une imitation passive des votes de leurs voisins; on a incriminé leur peu d’aptitude à saisir des débats trop étrangers au cercle habituel de leurs idées, et dont ils défiguraient ensuite le sens parmi leurs compatriotes. De telles objections contiennent, croyons-nous, un reste du vieux levain des vainqueurs contre les vaincus, des chrétiens contre les musulmans et les Israélites, et ne peuvent émaner que des survivans de la première génération des colons. Elles portent à faux sur les Israélites, parmi lesquels il est aisé d’en trouver de familiers avec la langue française, et dont l’intelligence et les habitudes d’esprit sont au niveau de toute discussion d’affaires. Les musulmans eux-mêmes, ce nous semble, ne sont pas aussi étrangers qu’on le croit au système des délibérations publiques. Les djemâa ou assemblées des notables sont un des usages les plus chers à l’aristocratie chez les Arabes, au peuple chez les Kabyles. Nous avouerons du reste que leur admission dans les conseils-généraux se fonde bien moins sur les services qu’ils peuvent y rendre que sur l’intention d’amortir, par le contact des personnes, les antipathies de classe et de race. Et ce n’était pas en effet le moins éloquent des enseignemens de telles assemblées que le tableau de ces diversités d’origine, de croyances, de langues, de costume même, paisiblement entremêlées autour de la même table, et discutant amicalement les intérêts collectifs. Nous avons vu à Oran un agha, petit-neveu du général Mustapha, qui, bien que possédant passablement la langue française, ne pouvait toujours suivre des débats un peu ardus. Alors il employait ses loisirs à des exercices de lecture et d’écriture française, et parvenait, avec une grande satis-