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fausse d’où il ne pouvait sortir sans se répandre contre lui en récriminations inconvenantes à ses yeux, et en tout cas inutiles. Il avait été irréprochable comme Charles-Albert, mais comme lui il s’était trompé. Réduite à ces termes et dépouillée de toute intention accusatrice, la critique qu’ils subissaient tous deux était juste. La défection du pape déjouait toutes leurs combinaisons et donnait tort à toutes leurs conjectures. On était fondé à leur reprocher d’avoir confié les destinées de la nation à des mains peu sûres, et de n’avoir pas su distinguer les faux alliés des véritables. Ils avaient été aussi imprudens, disait-on, en remettant le sort des monarchies représentatives italiennes aux mains du pape que s’ils les eussent données en garde à un affilié de Mazzini; le premier est forcément absolutiste, le second nécessairement républicain.

Mais tandis que l’idée du libéralisme papal expirait ainsi, et que l’impossibilité de la mettre en pratique résultait de l’inaction forcée de César Balbo, le Piémont faisait l’apprentissage d’un libéralisme vraiment national et indépendant. Le régime constitutionnel donnait au peuple une meilleure éducation; l’esprit public, déjà rallié dans une heureuse unité par l’attachement séculaire de la nation à sa dynastie, s’éclairait, se fortifiait, s’élevait; la liberté rehaussait le pays en dignité extérieure, et en améliorait les conditions morales. Il est douloureux sans doute de signaler l’impuissance de cet homme qui se survit à lui-même, et dont les fidélités n’ont plus d’objet, — de s’arrêter avec Balbo sur le seuil de cette terre où il avait conduit ses concitoyens avec tant de foi et de persévérance; mais si l’on ne peut se défendre de quelques regrets en le voyant s’appuyer sur son bâton de voyage sans pouvoir atteindre au but souhaité, si l’on doit déplorer qu’il n’ait pu participer au défrichement du sol conquis, il est bon du moins de recueillir et de méditer ses dernières paroles, car elles sont pleines d’encouragemens et d’espérances. Léguées à son pays dans ses œuvres posthumes, elles sont le résumé de cette vie de croyances souvent déçues et d’illusions corrigées par bien des expériences amères. Il reste donc à comparer ce testament politique de César Balbo avec ses autres ouvrages, afin d’apprécier la valeur définitive de son œuvre.


III.

La race italienne est une race de diplomates. Elle est habile à cacher ce qu’elle pense, et son histoire offre peu d’exemples d’indiscrétions inutiles ou de révélations inconsidérées; il faut s’en souvenir en essayant de juger César Balbo, qui paraît à première vue un homme de cœur et d’imagination plutôt qu’un profond politique.