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vain par la censure, ni même des concessions faites par sa plume, moins hardie que sa pensée, aux scrupules de sa dévotion; elle doit être impassible, et après avoir expliqué les circonstances qui ont agi sur l’auteur, elle doit juger le livre comme s’il ne portait ni date ni signature. Il faut donc indiquer les défauts que présentent les ouvrages de César Balbo en eux-mêmes, quand on ne les étudie point à l’aide des élémens d’interprétation que nous avons tenté de fournir.

Souvent l’auteur n’ose pas être exact, de peur d’être brutal. Son royalisme exquis l’a rendu obéissant même envers les événemens, qu’il accepte avec politesse, même envers les pouvoirs malfaisans, qu’il reconnaît afin de n’être pas forcé de les maltraiter. Ainsi les Speranze prient l’Autriche de céder sa place en Italie, mais elles lui offrent une fort belle compensation sur le Danube. Fidèle à ses habitudes, le député de Chieri disait au parlement un jour de février 1852 : « Un bon député ministériel doit, selon moi, appuyer le ministère dans toutes les questions d’opportunité, et ne se détacher de son parti que dans les questions primordiales où la conscience le commande absolument. » De même que Charles-Albert, Balbo se risque rarement à être personnel. Il compte beaucoup sur les autres, il en appelle à ceux qui l’entourent, il s’inquiète de l’opinion; c’est au loin, hors déportée, qu’il cherche ses points d’appui et ses ressources; toujours il s’efface devant quelque chose, comme il efface le Piémont devant Rome, l’Italie devant l’Orient. Est-ce là une faiblesse, une infirmité contractée sous la pression d’un absolutisme qui parvenait à intimider jusqu’aux consciences? Peut-être; mais c’est aussi et surtout de la bonté. C’est à cette bonté servie par une imagination vive que nous devons sa conception d’une papauté fantastique, brûlant de mystiques chantés, embrassant le monde avec amour, et semant à chaque parole des germes évangéliques de paix et de liberté croissantes. Le type pontifical de César Balbo serait, d’après quelques hommes de bien, digne d’être opposé au type florentin du Principe, et ceux-là ont surnommé Balbo un Machiavel chrétien. Soit; mais du point de vue pratique où nous devons nous maintenir ici, l’optimisme inconsidéré de l’un ne paraît pas offrir autant d’avantages que le pessimisme raisonné de l’autre. Machiavel a la grande qualité de l’observateur, le sang-froid. Il ne laisse pas son cœur barrer la route à son intelligence; avant d’entrer en campagne, il a soin de congédier religions, prédilections et tendresses, tante donne. Opérateur, il ne ressent aucune pitié; médecin, il ne connaît pas le dégoût; philosophe, il ne recule devant aucun des secrets honteux de la nature humaine. Les sociétés sont à ses yeux comme un grand règne animal à l’état sauvage, où les républiques,