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habitans de Paris aucun lien administratif; ce sont, pour employer l’expression de M. Le ministre de l’intérieur lui-même, des masses flottantes au sein d’une commune, que rien ne rattache à son administration, au soin de ses finances et de ses affaires. Ainsi que nous l’avons dit déjà, ni la municipalité de Paris, ni les municipalités suburbaines ne relèvent de l’élection, et là où il n’existe point d’élection municipale, il n’y a plus de représentation, plus de municipalité, par conséquent plus de lien communal. Cette absence de lien municipal au sein de Paris n’a-t-elle pas frappé M. Le préfet de la Seine lui-même? « Les divisions tracées sur le plan soumis aux enquêtes, a dit ce magistrat dans l’un de ses rapports, suivent presque toujours de grandes voies publiques qui rendent les arrondissemens faciles à distinguer, avantage précieux, car le lien qui unit les habitans d’une même circonscription est assez faible pour que, dans l’état actuel des choses, beaucoup éprouvent, à cause de l’irrégularité des limites, quelque incertitude sur la position de la mairie et de la justice de paix dont ils relèvent. » Or, à notre estime, le lien municipal est encore le plus fort et le meilleur de tous les liens ; c’est par là qu’on arrive à grouper les populations dans une vaste cité, et à les attacher à l’intérêt général de la cité elle-même, dont chaque groupe ou arrondissement communal forme une des parties intégrantes, un élément actif et puissant, un des anneaux de la chaîne qui doit tout réunir et fortifier. Cette désagrégation de la population parisienne parut si grave au commencement de l’empire, qu’elle avait suggéré l’idée de revenir au système des anciennes corporations d’arts et métiers. « A mesure que les villes se sont peuplées, disait-on, nos ancêtres avaient senti la difficulté de forcer des milliers d’hommes qui s’entraînent sur un même point à vivre ensemble sans se choquer l’un l’autre, sans s’offenser sans cesse; ils avaient reconnu que le seul moyen de rétablir l’ordre dans cette confusion d’individus était de les classer, de les partager par petites divisions, de donner à chacun des chefs qui fussent au magistrat ce que les officiers subalternes sont à l’officier supérieur. Cette grande pensée suffirait seule pour prouver la sagesse de nos pères : l’administration la plus active, la plus éclairée, ne réussira jamais à contenir la multitude, si elle n’établit pas des autorités secondaires, si elle n’appelle pas à son secours les pouvoirs naturels[1]. » On cherchait évidemment le remède du mauvais côté ; le conseil d’état ne voulut pas entendre parler des jurandes, qui venaient d’être abolies; il rejeta la mesure, et la ville de Paris resta livrée au mal qui alarmait les administrateurs de l’époque, et que le régime municipal aurait pu seul réparer.

  1. Conseil d’état, Mémoire sur la contribution personnelle dans les villes.