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connu. On ne voit pas que de la sorte on en viendrait à se désintéresser de tout, à ne tenir aucun compte des mobiles moraux qui peuvent mettre quelquefois les nations sous les armes sans qu’elles cessent pour cela de considérer la paix comme le plus grand des bienfaits. Ce serait le signe de la prédominance définitive des intérêts matériels et du besoin du repos sur l’esprit politique. La vérité est que les affaires des peuples ne marchent point ainsi, et qu’il ne s’agit nullement de faire un choix entre la guerre systématiquement préconisée et la paix se défendant d’elle-même ou convoquant à sa défense tous les intérêts compromis. Ces redoutables alternatives, ce n’est pas le choix des hommes qui les appelle ; elles naissent du mouvement des choses, elles sont inséparables des questions qui les font surgir. Et une fois que ces questions sont nées, que reste-t-il à faire, si ce n’est à les regarder en face, à les conduire dans un esprit de paix sans doute, comme aussi sans étonnement, sans impatience et sans faiblesse ?

C’est là après tout l’histoire de cette question d’Italie. Qu’elle se résolve par la paix ou par la guerre, elle a fait son entrée dans le monde, et si elle ne peut passer obscurément au milieu de l’indifférence des gouvernemens et des peuples, c’est qu’elle touche à tout, à la religion par l’existence de la papauté, à l’ordre européen par les problèmes d’équilibre qu’elle soulève, à la sécurité universelle des sociétés par les périls révolutionnaires dont elle est l’inépuisable source, à la civilisation moderne tout entière par les aspirations de nationalité et de liberté qui en forment l’essence. Cette question italienne, elle existe pour tout le monde, même pour ceux qui la nient ; seulement chacun a sa manière de la considérer. L’Angleterre la place à Naples et à Rome, dans les mauvais gouvernemens ; l’Autriche la place à Turin, où elle voit le foyer de toutes les agitations révolutionnaires de la péninsule, tandis que le Piémont et les Italiens à leur tour la placent à Milan et à Venise, où ils rencontrent la domination étrangère ; la France, je crois bien, la met un peu partout, et de ce conflit de vues, de tendances, de passions même si l’on veut, naît la gravité de la crise qui s’est déclarée tout à coup au sein de l’Europe comme un feu inaperçu.

A vrai dire et à juger les choses d’une certaine hauteur, cette situation de l’Europe telle qu’elle s’est révélée n’est point fille d’une circonstance unique et d’une seule question. Elle est née d’une multitude de causes, parmi lesquelles l’une des plus actives peut-être est l’affaiblissement moral de ce droit public, souvent invoqué par les puissances qui en ont le plus profité et qui l’ont quelquefois le moins respecté. La question d’Italie n’a fait que mettre à nu un trouble profond, accru successivement par toutes les transformations