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existé jusqu’ici entre sa domination au-delà des Alpes et l’indépendance des autres états italiens tient essentiellement au droit public de 1815, car alors il deviendrait clair que cette assemblée de sages réunie à Vienne il y a quarante-cinq ans aurait fait une œuvre contradictoire en créant des souverainetés italiennes indépendantes à côté de l’Autriche maîtresse de Milan, et l’Europe serait ainsi conduite forcément, en quelque sorte sans le vouloir, à remonter au principe de cette situation, source de tous les périls actuels. L’Autriche elle-même placerait la question telle que la place M. de Cavour, non dans la seconde partie de son mémorandum, où il trace le programme de ce qui est diplomatiquement possible, mais dans la première partie, où il parle en patriote et en partisan, en défenseur de l’indépendance complète de l’Italie.

Oui sans doute, dira-t-on, l’Italie a moralement le droit d’aspirer à son émancipation nationale, et à défaut même de cette indépendance complète, qui est la perpétuelle fascination de tous les Italiens, le Piémont est encore fondé à réclamer pour sa sûreté et à demander que l’Autriche cesse d’enfermer la péninsule dans le cercle de ses influences, de ses alliances onéreuses et de ses interventions; mais dans quelle mesure la France est-elle intéressée à s’associer à ce mouvement et à engager sa politique au-delà des Alpes? Il semble quelquefois que la question italienne soit une affaire d’imagination et de fantaisie. On dirait que la péninsule ne peut nous inspirer que cet intérêt qui naît d’un passé brillant évanoui, de tous les souvenirs de la littérature et des arts, du contraste entre un ciel splendide et les ruines survivantes de la plus merveilleuse civilisation. C’est une question de poésie et d’art, presque d’archéologie, et qui n’a rien de politique! Il n’en est pas tout à fait ainsi, ce me semble; les intérêts de la France au-delà des Alpes sont justement des intérêts politiques de premier ordre. Le Piémont particulièrement a pour nous une importance frappante. Qu’on examine un simple fait : lorsque les puissances réunies à Vienne en 1815 entreprirent de reconstruire l’Europe, sans vouloir donner à l’Autriche tous les droits qu’elle a cru pouvoir tirer d’un article de traité, elles eurent évidemment la pensée d’organiser l’Italie contre la France. C’est dans ces vues que le Piémont reconstitué était agrandi de l’état de Gênes. Le roi de Sardaigne était le gardien des Alpes, et pour qu’il pût mieux garder les Alpes, il eût été aisément secondé par les alliés dans d’autres désirs d’agrandissement, si la première loi n’eût été de satisfaire l’Autriche. C’était sur notre flanc une avant-garde de l’Europe contre nous, et l’Autriche assurément le considérait ainsi. Qu’est-il arrivé cependant? Par une évolution progressivement accomplie et qui est devenue surtout plus marquée sous l’in-