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fluence des idées libérales, cette avant-garde, changeant de front, n’est plus contre nous, elle est pour nous en Italie. Notre frontière matérielle n’a point changé, notre frontière morale s’est agrandie; l’esprit des traités de 1815 a reculé des Alpes jusqu’au Tessin. Voilà l’importance réelle du Piémont pour la France.

Et puis, qu’on le remarque bien, c’est à Turin qu’est désormais le levier de tout ce qui peut se faire au-delà des Alpes. C’est le Piémont seul qui, par son libéralisme modéré et ordonné, met sur la voie de la solution raisonnable et pratique des affaires d’Italie. Hors de là, il n’y a que la solution autrichienne ou la solution révolutionnaire, c’est-à-dire ce qui existe, ou une suite indéfinie de désordres gigantesques, qui ramèneraient infailliblement encore la prédominance impériale. Si le Piémont succombait, ce ne serait pas seulement une défaite des institutions libérales, ce serait l’influence de l’Autriche étendue partout et ramenant sur les Alpes l’esprit des traités de 1815. Il ne faut point s’y tromper. Nos soldats montent encore aujourd’hui respectueusement la garde autour du saint-père, comme on l’a dit : je ne doute pas que la France ne soit écoutée au Vatican, que ses conseils n’aient un grand poids; mais enfin ce n’est pas notre influence qui règne. Nous sommes matériellement à Rome; c’est un autre esprit qui domine. Il en sera toujours de même tant que l’Autriche pèsera de tout son poids sur la péninsule. Et cependant il est très vrai que chaque grand empire en Europe a sa sphère d’action naturelle et légitime. Si la France ne peut exercer son influence en Italie ou en Espagne, où est sa sphère d’action? C’est ainsi que la cause du Piémont et l’indépendance de l’Italie ne sont ni un intérêt secondaire ni une affaire d’imagination.

Le malheur de cette question, je l’ai dit, c’est d’avoir été dès l’origine l’objet de méprises singulières, d’être née en quelque sorte à l’improviste. L’opinion était un peu oublieuse, il est vrai; elle ne se souvenait pas que la question italienne s’était montrée au congrès de Paris, était entrée, comme le disait M. de Cavour, dans le domaine des questions européennes, qu’il y avait une tension croissante dans les rapports de l’Autriche et du Piémont, que rien n’était changé dans les États-Romains, toujours occupés par des forces étrangères. Tous ces faits existaient incontestablement; il n’est pas moins vrai que le jour où la question a éclaté comme un coup de foudre, elle a trouvé l’opinion surprise de se voir ainsi jetée en face de complications dont elle ne saisissait ni la nature ni la portée, et dont elle redoutait les suites.

Ceux qui voient avant tout au-delà des Alpes l’existence de la papauté, la légitimité des princes, ont cru distinguer dans cette résurrection de la question italienne des perturbations prochaines,