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de cinq années d’abondance (1848 à 1852), l’auteur écrivait : « La France est condamnée à subir très prochainement une série de mauvaises récoltes en céréales. » En effet, de 1853 à 1857, nous avons subi la plus rude crise alimentaire qui depuis 1816 ait pesé sur nos populations. La brochure qui développait cette prophétie obtint, dans le cercle très restreint où elle fut distribuée, le succès d’estime que l’on accorde à, un curieux travail de statistique. Une triste expérience a prouvé qu’elle méritait mieux, et qu’en rappelant avec à-propos les vaches grasses et les vaches maigres du songe de Joseph, l’auteur avait surpris en quelque sorte le secret des récoltes. Il y a dans la constatation de ces alternatives presque régulières d’abondance et de disette la matière d’utiles recherches pour les sciences physiques; l’économiste et le législateur peuvent également en tenir compte pour l’examen des mesures destinées à assurer les approvisionnemens en céréales. Ce qui rend le commerce des grains si difficile, c’est l’incertitude. La statistique nous fournit une prévision qui, sans offrir tous les caractères de la certitude, n’en est pas moins digne d’être prise en très grande considération. On peut espérer qu’après une ou deux bonnes récoltes, on verra se succéder, jusqu’à l’expiration de la période quinquennale, des années d’abondance ; au contraire, après une ou deux mauvaises récoltes, on doit craindre de voir se prolonger la période de disette. Quant à la discussion engagée pour ou contre le maintien de la législation connue sous le nom d’échelle mobile, les partisans de l’une et de l’autre opinion puisent dans l’étude des tableaux de douane leurs principaux argumens. « Peut-on, disent les défenseurs de l’échelle mobile, appliquer une législation fixe et immuable à des situations perpétuellement changeantes, et décréter une taxe permanente alors que nous voyons, en 1852 par exemple, un excédant de production qui atteint près de 4 millions d’hectolitres, et en 1856 un déficit qui dépasse 9 millions? » A cet argument les adversaires de la législation actuelle répondent : « Votre échelle mobile n’est qu’un expédient très savant peut-être, très compliqué, mais assurément peu solide : on y renonce forcément dans les années de disette. Elle protège médiocrement le producteur, et sitôt qu’il y a apparence de crise, elle nuit à la consommation, car le commerce, ne sachant à quelle époque on se verra obligé de suspendre la loi ni à quel moment on jugera opportun de la rétablir, ne pourvoit aux approvisionnemens que d’une manière incomplète. Le droit fixe serait un gage de sécurité pour les importateurs de céréales, faciliterait la régularité des transactions, et conjurerait l’élévation exorbitante des prix. »

Les différens points du débat ont été fréquemment exposés et sont connus de toutes les personnes qui ont pour mission ou se sont proposé pour étude d’approfondir cette grave question. Qu’il nous suffise donc de relever ici deux faits qui résultent de la statistique. En premier lieu, les calculs de la douane établissent que, depuis 1827 jusqu’en 1856, le chiffre total des importations de céréales a été supérieur à celui des exportations ; l’excès des