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Terapé où ne manquent que d’heureux habitans. Et pourtant dans les sillons malfaisans de la terre de Saturne croît éternellement cette puissance funeste qu’on appelle la mort. Aux heures d’été, que le soleil attriste de son implacable lumière, alors qu’avec une régularité sinistre il descend sur les campagnes, les conseils de la faim cruelle y attirent par milliers des moissonneurs. On dirait des hommes qui partent pour l’exil, la mort dans l’âme. Et déjà l’air empoisonné assombrit leur, brune prunelle. Ici, le chant de l’amoureux oiseau ne console pas ces pauvres âmes; la chanson des Abruzzes, leur pays natal, ne réjouit point ces bandes souffreteuses. Silencieux, ils fauchent les moissons de maîtres inconnus, et quand leur œuvre de sueur est accomplie, ils s’en retournent silencieux….. Hélas! ils ne reviennent pas tous : il en est qui s’assoient sur le sillon pour y mourir. Le dernier regard du malheureux cherche un parent fidèle qui porte à sa vieille et tremblante mère le prix de sa vie et l’adieu d’un fils qui ne reviendra point. Et tandis qu’il meurt ainsi, seul, abandonné, il entend au loin les voyageurs dont le son connu de la cornemuse règle les pas. Et lorsque plus tard descend à son tour un orphelin pour faucher les moissons, lorsqu’il sent trembler sa faux sous la gerbe, il pleure, et pense que ces épis peut-être ont grandi sur les os non ensevelis de son père! »


Je ne crois pas que depuis Ugo Foscolo et Leopardi la muse italienne ait souvent trouvé d’aussi nobles, d’aussi pathétiques accens. Le dernier trait surtout est admirable : il rappelle Virgile, si l’on veut; mais quelle différence entre ces Romains émus à la vue des os de leurs ancêtres inconnus, et ce fils qui vient travailler, souffrir, mourir peut-être, aux mêmes lieux où est mort son père, et qui, à chaque caillou qu’il heurte, tressaille et croit en outrager les os!

M. Aleardi est sincèrement ému, on n’en saurait douter, et voilà pourquoi il nous touche si vivement. Le poème du Monte-Circello est un recueil et comme un musée de souvenirs. Il y en a même de géologiques, sur la valeur desquels je ne m’arrêterai pas; mais je traduirai encore quelques vers de cette pièce sur le sujet favori de l’ancienne gloire de l’Italie.


« Partout où tu portes ton regard sur cette terre latine épuisée par sa gloire et ses malheurs, sur cette terre que jadis le tribun frappait du pied pour en faire sortir des soldats, se dresse un souvenir, car pour nous l’histoire est une science de tristesse et d’orgueil. Sur ces marais livides où maintenant le buffle paresseux s’embourbe et regarde à l’aventure, volèrent un jour des ouragans de cavaliers sur des chevaux qui ne connurent jamais le hennissement de la fuite, qui ne savaient respirer que la poussière du triomphe. Malheureusement tous ces forts sont descendus dans la tombe que la terre a recouverte de ses roseaux; les glaives semés dans les sillons n’ont point germé ni produit des épées. Je vois les chênes étendre encore leurs rameaux, mais non plus la main qui les arrachait pour en faire des lances. Sur la voie qui parcourait cent milles entre des monumens (voie Appienne), s’élève une