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De plus, la polémique, par sa nature, quoiqu’elle soit un genre de littérature très passionné, et précisément même parce qu’elle est passionnée, est aussi un genre essentiellement monotone. C’est le propre de la passion en effet d’attacher tant d’importance à la chose qui l’émeut, qu’elle _en peut parler incessamment, et toujours dans les mêmes termes, sans se fatiguer. Tout sentiment exalté est, comme on l’a dit de l’amour, un grand recommenceur. De là l’impatience involontaire que la passion cause à ceux qui n’y sont pas intéressés, et qui, bien loin de s’émouvoir du spectacle qu’elle présente, redoublent au contraire de froideur à mesure qu’elle crie plus fort. Dès qu’on n’aime plus, la passion ennuie. C’est là, je le crains bien, ce que le lecteur d’aujourd’hui, moins amoureux qu’il y a quinze ans d’idées républicaines et libérales, éprouve devant les répétitions nombreuses, parfois éloquentes, mais uniformément ardentes, dont ces cinq volumes sont remplis. Y a-t-il encore quelque autre cause à cette insensibilité ? Serait-ce que les griefs si chaleureusement développés par Armand Carrel contre le gouvernement de son temps, envisagés aujourd’hui sous un nouveau jour, semblent avoir perdu de leur gravité ? Serait-ce que les persécutions infligées à la presse par le jury et les prodigalités d’un budget royal de quelques millions n’inspireraient plus, même aux puritains les plus austères, autant d’indignation qu’autrefois ? Qui sait ? En vivant, on voit bien des choses, et les comparaisons forment l’esprit. Quelle que soit la cause de l’indifférence du public, je ne me charge pas de la découvrir ; je me borne à en constater l’effet.

Malgré tant de raisons de reculer devant l’entreprise, j’ose promettre à ceux qui, armés de patience, s’engageront dans la lecture de cette volumineuse publication avec le ferme propos de n’en rien passer et de la mener jusqu’au bout une source d’intérêt à laquelle peut-être ils ne s’attendent pas. C’est celle qu’on peut trouver dans la lecture d’un livre de prophéties, quand l’événement est venu en partie réaliser et en partie décevoir les prévisions de l’oracle. Pendant les dix-huit ans qu’a duré le gouvernement monarchique de juillet, la république, ce concurrent écarté, mais non désarmé en 1830, est restée constamment en éveil, tantôt avançant, tantôt refoulée, mais toujours grondant à l’horizon. La révolution, qui a fini par éclater en 1848, a été suspendue dès le premier jour sur toutes les têtes, comme une espérance pour les uns, comme une menace pour les autres. Ce que produirait une révolution nouvelle, quel serait le sort d’une république en France, quelle chance on avait d’y arriver ou d’y échapper, dans quel abîme on tomberait par là ou quelle nouvelle carrière serait ouverte, ç’a été dix-huit années durant le thème de toutes les discussions des partis. Armand Carrel