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Autre motif de satisfaction, il est dans les plus charmantes régions de l’Inde, sur ces pentes boisées et fraîches de l’Himalaya, où se réfugient les Européens, quand la saison brûlante leur rend insupportable le séjour des villes. Et enfin, ce qui le met encore en meilleure disposition, il vient de rencontrer là un homme digne de le comprendre, placé de manière à lui frayer la voie. A peine ils se sont vus, et ils se sentent attirés l’un vers l’autre. Cet homme, c’est Henry Lawrence, alors tout récemment nommé colonel et chevalier du Bain, Lawrence, établi à Simlah, appelle auprès de lui le jeune lieutenant, et le garde un mois entier. Il le choie, le conseille, et (ce qui plaît mieux encore à Hodson) il fait de son nouvel ami son aide-de-camp, son secrétaire intime. En cette qualité, il l’accable de besogne. Il l’initie ainsi très rapidement et sans réserve au secret des affaires politiques; il lui prodigue les trésors de son expérience; il le prépare à devenir en ses mains un de ces instrumens dont il faut assurer la trempe avant de s’en servir dans des opérations délicates.

L’un des résultats de la guerre des Sikhs fut, on le sait, l’attribution du royaume de Kachemyr à Ghoolab-Singh, dont on payait ainsi les services tout en diminuant d’autant les ressources militaires du Pendjab; mais le peuple dont on disposait si cavalièrement ne voulut pas, de prime abord, reconnaître la validité de ces arrangemens politiques. Les délégués et les troupes du nouveau prince que l’Angleterre lui donnait furent reçus à coups de fusil au sein des tribus montagnardes, soulevées par le cheik Imaumodeen. Sans se faire la moindre illusion sur le mérite du souverain qu’ils avaient imposé à ces malheureuses peuplades, les maîtres de l’Inde durent intervenir. « Nous lui avons charpenté un trône, il l’y faut maintenir, écrit Hodson en parlant de Ghoolab-Singh, et pourtant c’est un tel misérable, et si abhorré! L’ordre ainsi obtenu ne sera jamais, je le crains bien, que le calme passager du torrent près de se ruer dans l’abîme. »

Henry Lawrence devait aller, en qualité d’agent, surveiller l’occupation du pays où Ghoolab-Singh, laissant son domaine héréditaire sous la garde des troupes anglaises, se jetait à la tête de toutes celles qu’il avait pu réunir. Il emmène avec lui Hodson, dont la volonté laborieuse et l’intelligence toujours prête lui sont déjà un précieux secours. Bientôt après (octobre 1846), ils quittent Lahore et se portent sur le théâtre même de la guerre. Là, le jeune lieutenant fait pour la première fois connaissance avec une cour indienne; il étudie ces graves dehors sous lesquels se cachent les passions indomptables de cette vieille aristocratie, si habilement hypocrite, si profondément corrompue. Les leçons de Lawrence ne sont point perdues pour lui, et il voit clair dans tout ce qui l’entoure. C’est ainsi par exemple qu’il parle de Ghoolab-Singh : « Le maharadjah est un bel