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fort utile à la domination des provinces conquises. « La plupart des bandits sur lesquels j’ai mis la main (et j’ai fait fusiller l’un d’eux pour encourager les autres) ont été découverts par l’entremise de gaillards fort intelligens que je disperse, déguisés en fakirs, dans les différens villages, et qui ont pour mission de faire bavarder un chacun. Les historiettes sikhes que j’ai recueillies par ce moyen vous paraîtraient incroyables si je vous les racontais. Violence, cruauté, trahison, s’y rencontrent dans des proportions inouïes. L’indifférence de ces gens pour la vie humaine a quelque chose de terrifiant. J’ai à peine pu obtenir d’eux qu’ils accordassent une pensée et quelques soins à la recherche des meurtriers d’un pauvre diable que je trouvai hier matin dans un fossé au bord de la route, et dont le cadavre attestait qu’il était mort victime d’un assassinat. En revanche ils demeuraient frappés d’horreur à la pensée de garrotter et d’enfermer un bœuf, animal sacré, qui dans ses fantaisies homicides en était à son treizième blessé. Ceci se passait avant hier au soir. Ils me disaient tout nettement que personne n’aie droit de se plaindre d’un coup de cornes quand il provient d’une si vénérable bête. »

Un ordre soudain vint le surprendre au milieu de ces travaux si variés. On le rappelait à Lahore pour l’envoyer à Moultan, avec M. Agnew. À la pensée de voir un pays tout nouveau, de se trouver mêlé à une crise politique, Hodson sentait battre son cœur, et il ne put sans doute que vivement regretter le changement de décision qui le fit rester à Lahore, tandis que la mission du Moultan partait sans lui. Cette déconvenue apparente lui sauvait pourtant la vie. Le capitaine Andersen, nommé à sa place, et M. Agnew, le résident qu’il devait accompagner, disparurent, à peine arrivés, dans le tumulte d’une insurrection militaire, suscitée par le souverain démissionnaire, le traître Moolraj.

Ceci se passait au mois d’avril 1848. Au mois de juin, les hostilités avaient recommencé dans le pays des Sikhs. Des conspirations étaient découvertes, et la potence faisait justice des conspirateurs. Hodson, avec un détachement de guides et un régiment d’irréguliers à cheval, battait l’estrade dans toutes les directions. En jour c’est une princesse souveraine, une rance, qu’il va enlever et qu’il ramène prisonnière. Le lendemain il est sur la piste d’un faux prophète qui a déjà réuni quatre ou cinq cents fanatiques, et menace d’insurger le pays. Il sillonne le pays dans tous les sens, saisissant les bateaux, postant des hommes à tous les gués, coupant du mieux qu’il peut toutes les voies, heureux en somme de cette vie à cheval, pleine d’émotions, de chances diverses, d’activité fiévreuse, de soucis continuels. Les marches de nuit seulement lui paraissaient parfois pénibles, et il trouvait de trop certaines brises chaudes qui, selon lui, sont « des simouns en miniature. » L’une d’elles, surprenant un ré-