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dans l’arceau duquel se découpent les dômes blancs de l’édifice intérieur, et là, au milieu d’une foule d’Indiens, un seul homme blanc, bien décidé à ramener ses prisonniers ou à périr sur place.

« Bientôt un cortège apparut, qui sortait lentement de l’enceinte funéraire. Zeenat-Mahal était en tête, dans une de ces voitures closes dont on se sert ici pour les femmes. Lorsqu’elle passa devant nous, son nom fut articulé à voix haute par le moulrie. Ensuite, dans un palanquin, venait le roi, vers lequel Hodson poussa son cheval dès qu’il le vit, et auquel il demanda de rendre ses armes. Avant de les livrer, le roi demanda s’il était bien Hodson-Bahadour[1] et s’il consentait à répéter la promesse faite par son messager. Le capitaine répondit affirmativement à ces deux questions, ajoutant que la vie du roi et celle du fils de Zeenat-Mahal étaient garanties, pourvu que le premier se rendît sans causer de troubles; — puis, avec une emphase particulière, il déclara que si la moindre tentative était faite pour enlever les prisonniers, il tuerait le roi sur place, ni plus ni moins que s’il s’agissait d’un chien. Le vieillard alors rendit ses armes, que le capitaine remit à son cavalier d’ordonnance, sans cesser lui-même d’avoir le sabre nu à la main. La même cérémonie eut lieu pour le petit prince (Jumma Buckh). et ensuite commença le voyage vers Delhi, voyage qui sembla au commandant durer une éternité tout entière. Les palanquins en effet n’avançaient qu’au pas de la marche à pied, et avec sa poignée d’hommes il se voyait entouré de milliers d’individus en armes, dont un seul aurait pu l’étendre mort d’un coup de fusil lâché par derrière. Son ordonnance m’a raconté que c’était merveille de voir l’influence qu’exerçaient sur la foule émue son regard froid, sa physionomie impassible. On eût dit les natifs tout à fait paralysés par cette scène inouïe d’un homme blanc, — pour eux les cinquante souars (cavaliers) ne comptaient absolument pas, — emmenant seul leur monarque. Peu à peu, à mesure qu’on approchait des murs de Delhi, la foule diminuait, et un bien petit nombre suivit jusqu’à la porte dite de Lahore. Le capitaine Hodson, devançant de quelques pas le cortège, commanda d’ouvrir. Comme il franchissait le seuil, l’officier de garde lui demanda ce qu’il ramenait ainsi dans tous ces palkees. « Rien que le Grand-Mogol, » répondit-il simplement, sur quoi l’officier, pris à court, laissa échapper une exclamation dont l’énergie eût pu offenser certaines oreilles délicates. Sortis à ces mots du corps de garde, les soldats du poste avaient bonne envie de le saluer d’un hourrah, et on ne put les en empêcher qu’en leur donnant à penser que le roi prendrait pour lui ces acclamations honorifiques. A la porte du palais, le cortège rencontra M. Saunders, promu au gouvernement civil de la cité, à qui Hodson délivra en bonne forme ses captifs de race royale. « Par Jupiter! s’écria ce magistrat, dont la stupéfaction avait quelque chose de fort divertissant, on devrait, rien que pour ceci, mon camarade, vous donner le commandement en chef de l’armée! »

« La remarque du général fut encore plus caractéristique : « Je suis charmé que vous ayez pris votre homme, dit-il au capitaine, mais je ne m’attendais guère à revoir ni vous ni lui. » Les officiers présens ne purent s’empêcher d’applaudir leur camarade, qui fut immédiatement autorisé à choisir, parmi les armes du roi, celles qu’il voudrait conserver en mémoire

  1. Hodson le Victorieux.