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que la moisson a été faite; jusqu’à ce que les doutes soient dissipés, le commerce, incertain sur les droits que lui imposera l’échelle mobile lorsque les blés rentreront, s’abstient de faire des achats au dehors. De cette manière, les navires destinés à nous rapporter notre complément de subsistances ne se présentent que les derniers dans les ports des pays producteurs, à Odessa, à Galatz, à Alexandrie, à Dantzig, à New-York. Ils s’y montrent lorsque déjà l’étranger, plus avisé parce qu’il est dégagé d’entraves, a, par des achats considérables, fait grandement monter les cours; dans la Baltique et quelquefois dans la Mer-Noire, nous n’avons chargé nos navires que lorsque les glaces ne permettent plus d’en sortir. La conséquence est simple : avec le système de l’échelle mobile, le peuple qui l’aura gardée devra, en temps de disette, subir une cherté plus prononcée que celui qui aura eu le bon esprit de s’en débarrasser. Sur ce point, les relevés annexés à l’enquête ne sont pas sans quelque signification.

On sait qu’en Angleterre l’échelle mobile a été abolie en 1846 : depuis cette époque, en temps ordinaire, le prix du blé en Angleterre, moindre qu’autrefois, reste cependant supérieur au prix français de 2 à 3 francs, et quelquefois davantage; mais dans les dernières années de cherté qu’a subies l’Europe occidentale, je veux dire sous l’influence des vaches maigres de 1853 à 1857, l’écart n’a plus été le même. Non-seulement il a diminué, mais en compulsant les relevés officiels, on est étonné de voir qu’à certains momens il s’est retourné : le prix moyen de la France, au lieu d’être le plus bas, a été ainsi le plus élevé. En 1853, l’écart tomba à 50 centimes; en 1856, il y a un contre-écart, c’est-à-dire qu’en moyenne pendant l’année le prix français surpasse le prix anglais de 1 franc 02 centimes; en 1857, l’excédant du prix français est encore de 88 cent.[1]. Ainsi, pendant les temps de cherté, les deux pays ayant la liberté d’importation, l’un, l’Angleterre, par une loi permanente, l’autre, la France, sous l’influence d’un décret provisoire, mais l’Angleterre ayant de plus la liberté d’exportation, tandis que la France en était privée par une mesure radicale qui avait été spécialement décrétée, la prohibition à la sortie, voici le résultat en face duquel on se trouve : la position relative de l’Angleterre s’améliore, l’excédant de prix qu’elle subit par rapport à nous est moins fort, ou même c’est la France qui paie le prix supérieur. Cette conséquence a une explication toute simple : les cargaisons de blé en quête d’un acheteur, surtout dans un temps de cherté, où la mobilité des cours est grande, s’arrêtent plus volontiers dans

  1. Voir dans l’Enquête le tableau 21, page 87, tome III.