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signées dans le Chronicon pretiosum en Angleterre), le blé éprouvait d’une année à l’autre des écarts qui aujourd’hui nous semblent incroyables : c’était alternativement la ruine de l’agriculteur et une effroyable misère pour les masses populaires, dont le pain est le principal aliment. Nous n’en sommes plus là, grâce à Dieu; mais combien nous sommes loin encore d’une situation satisfaisante! Dans un court espace de temps, quelque chose comme une année et parfois moins, nous voyons des oscillations énormes. Sans prétendre qu’à cet égard il n’y ait pas grandement à espérer de diverses causes, et particulièrement du progrès de la culture, il est incontestable que la libre communication des grains et la mise en rapport de toutes les différentes parties du marché général, en même temps que ce sera un hommage au sentiment, aussi utile qu’il est beau, de la fraternité chrétienne, ou, si on l’aime mieux, de la sainte-alliance des nations, rendront, dans le sens du resserrement des écarts, les services les plus signalés. C’est ainsi que la libre circulation des grains se présente comme un grand objet à poursuivre, ou, pour mieux dire, à consacrer définitivement, dans l’intérêt du producteur aussi bien que du consommateur. Le régime des grands écarts est également funeste à celui-ci et à celui-là, car il ne faudrait pas dire que pour l’un ou pour l’autre la hausse et la baisse se compensent. Le consommateur n’économise pas, dans les temps où le pain est à bon marché, ce qu’il lui faudrait plus tard pour subvenir à son alimentation quand le pain sera cher; le cultivateur ne sait pas davantage épargner sur le profit que lui donne le cours de 30 ou 40 fr., afin de supporter la dépense de l’entretien de sa famille et les frais de son exploitation, quand il lui faudra vendre son blé à 15 fr.

À ce point de vue, l’abolition de l’échelle mobile offre à l’agriculture des conditions de sécurité dont il serait malheureux qu’on la dépouillât, ou qu’elle-même laissât, par son silence, consommer la destruction.

Voici la vérité au sujet du danger que l’importation des grains peut faire courir à l’agriculture française. Le plus redoutable de tous les concurrens, le blé d’Odessa, celui qui arrachait à M. Le baron Charles Dupin, dans son rapport de 1832, des cris d’épouvante dont le retentissement s’est prolongé jusqu’en 1859 au point d’ébranler, à ce qu’on assure, les lambris de la salle des délibérations du sénat, le blé d’Odessa, pour peu que l’Europe en prenne, se vend au moins 10 ou 11 fr.; à cela il faut ajouter environ 4 francs 50 cent, pour le transport, l’assurance et les frais de toute sorte, et, pour tenir compte de la différence de qualité, 3 fr. Ainsi, mis à quai à Marseille, sans aucun bénéfice pour le marchand, on compte