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autour d’elle. Telle est la simple explication du bruit qui s’est fait depuis quelques mois à propos de l’échelle mobile.

La question politique est, ce me semble, de savoir s’il est politique de céder à une agitation de ce genre et de cette origine, s’il convient de lui sacrifier l’intérêt public et l’intérêt même de l’agriculture, puisque celle-ci a fort à gagner à la liberté de l’exportation, et n’a rien à craindre de la liberté de l’importation. Un autre aspect de la question politique est encore celui-ci : faut-il immoler l’intérêt de la navigation, qui trouverait un fret de sortie dans le transport des blés au dehors, et qui est condamnée à languir jusqu’à ce qu’elle en ait un?

Il nous semble qu’il y a lieu de prendre en grande considération la circonstance suivante : aujourd’hui la question n’est plus entière; en fait, l’échelle mobile, à l’heure qu’il est, n’est pas en vigueur, elle est suspendue depuis six ans. On n’en est donc plus à savoir si elle doit ou non rester : la question est d’y revenir après l’avoir mise à l’écart, et d’y revenir sous la pression de manœuvres qui ne sont un mystère pour personne. En pareil cas, une décision favorable à l’échelle mobile ne serait pas l’acte d’un gouvernement fort, car ce serait reculer. Non qu’un gouvernement, quelque fort qu’il soit, doive s’obstiner dans une voie contraire aux intérêts du pays : la fierté et la dignité qui siéent à tout gouvernement ne sont pas compromises, quelque fort qu’il soit, lorsqu’il revient sur ses pas, parce qu’il reconnaît qu’il s’était mal engagé. Mais ici le gouvernement n’avait pas fait fausse route; au contraire, il suivait d’un pas délibéré la direction tracée par l’intérêt public, en cela d’accord avec les principes les plus avérés. Dès lors, nous demandons la permission de le dire avec franchise, persévérer n’est pas seulement pour lui une convenance, c’est un devoir d’autant plus impérieux qu’il est investi d’une plus grande force. Quand une nation surprise par la tempête s’est décidée à placer au gouvernail ce qu’on appelle un gouvernement fort; quand, cédant au sentiment d’une nécessité inexorable, elle a déposé entre les mains du prince une grande partie de ces biens auxquels la civilisation moderne attache un si grand prix; quand elle a fait pour une période non pas illimitée, mais du moins non définie, le sacrifice de la majeure partie des libertés publiques, ce n’est pas qu’elle fasse fi de ces libertés, et qu’elle n’en conserve pas le culte dans son cœur : c’est qu’il lui a paru que cet abandon temporaire était commandé par les circonstances. Elle ne s’y est résignée qu’en vue d’un objet parfaitement déterminé, afin d’empêcher les prétentions individuelles et les menées des factions de troubler profondément la marche régulière des affaires. En ce sens, un gouvernement fort est plus qu’un