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se mit en campagne. Par le moyen des comités locaux dont elle a couvert le pays entier comme d’un réseau, elle excita les terreurs de manufacturiers abusés, et leur dicta des démarches auxquelles ils eurent la faiblesse de se laisser entraîner. Avec le concours de ces électeurs influens, elle poussa devant elle une masse de députés, comme si c’eût été un troupeau. Par l’organe de ceux-ci, elle enjoignit au gouvernement de renoncer à son dessein de l’union douanière avec la Belgique, et le gouvernement crut devoir obéir. C’est peut-être la page la plus regrettable de l’histoire du régime parlementaire de 1814 à 1848.

Un peu plus tard, les prohibitionistes ont voulu davantage, s’il est possible. Dans l’affaire de l’union douanière avec la Belgique, c’était dans les coulisses que le gouvernement avait cédé aux obsessions et aux menaces de la coterie. Les prohibitionistes imaginèrent de lui imposer un acte de soumission sur la scène, en face du public. En 1845, la chambre des députés discutait un projet de loi sur les douanes : ce projet, tel qu’il avait été présenté par le gouvernement, était une aggravation du tarif. Il augmentait les droits, notamment sur les graines oléagineuses, et spécialement sur le sésame; mais il ne les augmentait pas assez au gré de la coterie. Les prohibitionistes font présenter par un des leurs un amendement qui surhausse ces droits démesurément, et ils exigent qu’il soit adopté avec le concours patent du gouvernement. Ils en font une condition, et l’on assiste alors à ce spectacle étrange, qu’au vote par assis et levé les ministres se déclarent contre le projet ministériel. Cela s’est vu en plein midi le 27 mars 1845[1]. Les hommes qui infligeaient ces avanies au gouvernement s’intitulaient les conservateurs par excellence. Rapprochement qui n’est pas sans intérêt, l’auteur de l’amendement sur le sésame était M. Darblay l’aîné, le même qui préside aujourd’hui le comité spécial formé pour la défense du travail agricole, c’est-à-dire pour le maintien de l’échelle mobile.

L’année suivante, l’association s’émut du triomphe éclatant que le principe de la liberté commerciale venait d’obtenir en Angleterre. On était à la fin de 1846. Elle résolut de frapper un grand coup. Elle

  1. Le gouvernement proposait pour le sésame d’Egypte, le seul qu’il y eût lieu à prendre en grande considération, de doubler le droit, qui était de 2 fr. 75 c. par 100 kilogrammes. Le droit aurait donc été porté à 5 fr. 50 c. La commission de la chambre des députés adhéra à cette proposition, et le rapporteur, M. Saglio, la soutint à la tribune. L’amendement de M. Darblay consistait à porter le droit à 10 francs. Au vote par assis et levé, de tous les ministres qui faisaient partie de la chambre des députés, un seul, le ministre du commerce, M. Cunin-Gridaine, vota contre l’amendement. Il avait aussi pris la parole pour le combattre.