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Faut-il pour cela saluer dans l’avènement des deux maîtres la régénération complète de l’école? Est-ce même de maîtres qu’il s’agit ici, et M. van Soust ne pousse-t-il pas l’éloge jusqu’au paradoxe quand il traite d’hommes « vraiment supérieurs » non-seulement les artistes habiles que nous venons de nommer, mais aussi M. Wiertz et même M. Madou, dont les humbles compositions et la manière sont loin de justifier une aussi pompeuse épithète? Cette supériorité ne serait que relative en tout cas, et ne saurait être attribuée aux chefs de l’école belge que dans les limites de leur petit pays. M. Gallait, dont le talent est connu depuis longtemps en France, ne fait, au point de vue de l’invention et du goût, que continuer, en les amoindrissant, les exemples de M. Delaroche. A ne considérer que l’exécution, le mérite principal de ses tableaux consiste dans une certaine vigueur de coloris et un sentiment ferme de l’effet : qualités que possèdent aussi, souvent même à un degré plus éminent, plusieurs peintres de l’école française, M. Robert Fleury entre autres. Quant à M. Leys, nous reconnaissons très volontiers ce qu’il y a dans ses œuvres, — dans ses Trentaines de Bertal de Haze surtout, — de vérités fines et d’heureuses intentions pittoresques. Le peintre des Trentaines est un artiste ingénieux, un praticien très distingué. Il a de plus le bon esprit de rester fidèle aux instincts nationaux en poursuivant la forme vraie plutôt que la forme épique, la précision du style plutôt que l’expression idéale. Descendant des van Eyck, il n’a pas répudié l’héritage de ses ancêtres pour usurper le bien d’autrui, ou pour chercher fortune dans le hasard des spéculations; mais jusqu’ici les « intuitions de son génie, » pour nous servir des paroles mêmes de M. van Soust, n’ont pas dépassé les termes de cette loyauté intellectuelle, de cette sagacité prudente. M. Leys nous apparaît comme un de ces fils de grande maison qui, désespérant d’ajouter à la gloire de leur nom, travaillent du moins à s’acquitter en conscience des devoirs que ce nom leur impose. Il y a de l’honneur sans doute à continuer ainsi de nobles traditions; toutefois le respect suffit pour récompenser un mérite de cette sorte. C’est pour des hauts faits plus éclatans, pour des inspirations plus personnelles qu’il faut réserver notre admiration.

Si le talent de M. Leys, talent remarquable assurément, mais avant tout bien informé, ne nous paraît pas commander un autre sentiment que l’estime, à bien meilleur droit refusera-t-on de s’associer aux transports un peu plus lyriques que de raison auxquels M. van Soust s’abandonne à propos d’œuvres et de noms moins considérables. C’était peu d’avoir défini le but proposé aux pas de M. Leys « un mont d’une noble structure couronné d’une forêt séculaire où croissent le chêne et le laurier : » l’auteur de l’étude sur l’Ecole d’Anvers en 1858 n’hésite pas à reconnaître dans quelques paysagistes ou peintres d’animaux plus ou moins habiles « les hommes qui sont appelés à creuser dans les champs de l’art le sillon où se lèveront les moissons de l’avenir. » Était-ce donc pour tracer ce glorieux sillon que M. Verlat, par exemple, attelait ces gigantesques chevaux de trait dont les proportions, plus encore que les beautés pittoresques, étonnaient le regard au salon dernier? Nous ne pensons pas que ni M. Verlat. ni MM. Pieron et Lamorinière, ni d’autres encore, s’attribuent cette mission de réformateurs