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trop rares de M. Vitet, quelques pages de M. Mérimée, les écrits utiles à différens titres de M. Delécluze, de M. Peisse, de quelques autres, méritent d’être opposés aux produits que nous indiquions tout à l’heure. Il n’en demeure pas moins vrai que la critique d’art, malgré d’honorables exceptions, n’a pas su conquérir de notre temps la place qu’ont assurée à la critique littéraire tant de travaux et de talens éminens. Dira-t-on que les occasions ont manqué, que l’inaction de la presse a trahi le progrès près de s’accomplir? Jamais au contraire on n’a autant écrit sur l’art et sur les artistes que depuis un quart de siècle; jamais les publications isolées, les entreprises collectives, les recueils spéciaux ne se sont autant multipliés. Et cependant, en dépit de cette activité et de ces efforts pour étendre son influence, la critique d’art est restée jusqu’ici un chapitre bien accessoire dans l’histoire littéraire de notre époque, une sorte d’accident sans portée pour les uns, de distraction passagère pour les autres, pour tout le monde à peu près une affaire de secte et de parti. Parmi les recueils périodiques consacrés à l’examen des questions d’art, en est-il un qui ait acquis une autorité assez sûre pour persuader en réalité l’opinion ? La nouvelle tentative poursuivie depuis quelques mois par M. Charles Blanc et par les écrivains qui se sont groupés autour de lui semble, il est vrai, plus sérieuse et mieux conçue que les entreprises précédentes. Peut-être aura-t-elle raison de nos préventions et de notre indifférence; toujours est-il que cette indifférence aura duré longtemps, et qu’elle aura trouvé son excuse dans l’insuffisance de la critique, tantôt légère jusqu’à la futilité, tantôt formelle et minutieuse jusqu’à l’aridité technique.

Les écrivains qui de nos jours traitent de l’art et de ses produits peuvent en effet être partagés en deux classes. Les uns, critiques par occasion, et le plus souvent voués à de tout autres études, improvisent sur les œuvres contemporaines des arrêts qu’ils s’attachent surtout à formuler en termes imprévus, sauf à scandaliser ou à faire sourire les gens, et à supprimer l’enseignement pour y substituer la causerie. Les autres, dédaigneux ou volontairement distraits du présent, consacrent leur sagacité critique et leur zèle à l’examen du passé, aux investigations archéologiques, à la révision ou à la recherche des anciens documens. Ils discutent ou rétablissent des dates, exhument des actes authentiques, publient des fragmens de correspondance et des textes historiques inédits. Rien de mieux, particulièrement dans notre pays, où tout ce qui tient à l’histoire de l’art a été si longtemps négligé et demeure encore si peu connu ; mais, quelle que soit l’opportunité de ces travaux, ne serait-il pas bien opportun aussi d’en approprier les résultats aux besoins et aux goûts actuels? Ne faudrait-il pas tirer quelque leçon directe, quelque exemple général de ces découvertes curieuses et de ces informations partielles? Ce n’est pas assez de faire preuve d’érudition, de résoudre certaines questions et de restituer certains faits, — d’une importance souvent contestable d’ailleurs, — afin de nous montrer seulement ce qui a été, de nous renseigner sur ce qui a vécu. En procédant ainsi, on pourra réussir à intéresser un petit nombre d’hommes familiarisés de longue main avec les études de cette nature : on n’arrivera pas à exercer sur le goût public une action fort utile, à réformer nos erreurs présentes, à déterminer un progrès. Fussent-ils plus consciencieux et plus savans encore, ces travaux, purement