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historiques, ne sauraient remplacer la vive et ferme discussion des œuvres qui se produisent, des questions qui s’agitent autour de nous.

Nous ne prétendons nullement exagérer le rôle et le pouvoir de la critique; nous savons de reste qu’il ne lui appartient pas plus de faire surgir à son gré le talent qu’il ne lui appartient de l’anéantir quand il a paru. Qu’elle y consente ou qu’elle s’y refuse, un grand artiste saura bien s’imposer à l’admiration publique et conquérir de haute lutte les suffrages qu’on aura voulu d’abord lui marchander. Il ne suit pas de là toutefois que l’office de la critique se borne à s’humilier devant tous les succès, à enregistrer à des momens donnés toutes les œuvres bonnes ou mauvaises. Elle a d’autres devoirs et une autre mission : devoirs sérieux dont on parle beaucoup, mais qu’en général on néglige un peu de définir et surtout de mettre en pratique; mission délicate, parce qu’il faut, pour s’en acquitter à souhait, une sincérité sans audace, une science sans pédantisme, une intelligence assez impartiale pour accepter tous les genres de mérite, assez convaincue cependant pour ne se laisser ni étourdir par les bruits du dehors, ni séduire par des nouveautés décevantes. « Les arts, a dit Joubert, sont une sorte de langue à part, un moyen unique de communication entre les habitans d’une sphère supérieure et nous.» C’est à la critique de nous expliquer ce langage, de résumer en termes précis ce que nous avions éprouvé peut-être à l’état de pressentiment et de vague sensation. En vertu de principes arrêtés, mais non étroits, d’instincts sévères, mais non immobiles, elle doit seconder l’action des maîtres, faire justice des faux talens et se garder aussi bien des entraînemens que de la froideur. Elle doit en un mot être à la fois réfléchie et émue, respectueuse sans complaisance, indignée même sans emportement, et se souvenir en toute occasion qu’il s’agit bien moins encore d’œuvres à condamner ou à défendre que de passions généreuses à stimuler et de saines doctrines à faire prévaloir. Ce sont là, dira-t-on, des vérités banales : j’en conviens; mais s’il est permis de les rappeler, n’est-ce pas à l’heure où tant de gens les oublient? N’est-ce pas quand ceux-là mêmes qui font profession de nous instruire, abusant tour à tour de l’indulgence et de la rigueur, honorent les faiblesses, prônent les talens secondaires ou les œuvres suspectes, et se servent de la louange pour encourager l’erreur, du droit de remontrance pour s’insurger contre le vrai mérite?


HENRI DELABORDE.