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dans certaines imaginations. On a prononcé le mot de nationalités, et toute sorte de brochures ont brodé sur ce thème toute sorte de systèmes. En 1848, l’Europe a été envahie par des essais de reconstitution sociale. Aujourd’hui nous assistons à une sorte de socialisme diplomatique : les utopistes s’exercent à la reconstitution de l’Europe, et font sous le couvert des nationalités une impossible géographie politique. Il y a là un grand danger pour notre entreprise italienne. Si la croisade des nationalités était prêchée ailleurs qu’en Italie, les alliances des forces organisées, c’est-à-dire des gouvernements européens, se combineraient suivant les nécessités de la lutte, et l’intérêt particulier de l’Italie pourrait disparaître dans la conflagration générale. Après ce danger, qu’il n’est peut-être pas au pouvoir de la France seule de conjurer, il en est un qu’elle est en mesure de dominer, car il ne pourrait naître que de son ambition. Nous espérons fermement qu’elle évitera celui-là. Elle paraîtra en effet en Italie non comme conquérante, mais comme alliée de l’Italie indépendante, représentée par le Piémont, et lorsque l’œuvre sera achevée, elle ne cherchera point à influer arbitrairement sur l’organisation politique de la péninsule : elle laissera régler par les Italiens les destinées de l’Italie.

Éviter tout ce qui pourrait faire dévier la question italienne et tout ce qui pourrait la grossir, voilà en deux mots le résumé des devoirs de la politique française dans l’entreprise difficile qu’elle va tenter. Pénétrés de la nécessité où nous sommes d’observer cette double règle de conduite, si nous voulons réussir, nous ne partageons point les désirs divers que nous entendons exprimer au sujet des alliances que la France pourrait rechercher. Les alliances, voilà l’écueil d’une politique placée dans les conditions où nous sommes. Le plus sage à notre avis est de n’en violenter ou de n’en courtiser particulièrement aucune. Le plus prudent est de chercher à faire tout seuls, et en Italie exclusivement, l’œuvre de l’affranchissement de l’Italie. Nous sommes assez forts, on n’en doute point, pour n’avoir pas besoin d’un concours étranger contre l’Autriche. S’il en est ainsi, pourquoi solliciterions-nous des alliances ? Les neutralités nous suffisent. L’Allemagne, si ses intérêts ne sont point attaqués et si ses susceptibilités nationales sont ménagées, l’Allemagne, prudemment contenue par la Prusse, demeurera neutre. Sans doute les rancunes de la Russie contre l’Autriche nous la rendent favorable dans cette guerre : mais nous devons appréhender, et que cette guerre ne fasse trop les affaires de la Russie en Orient, et qu’une alliance russe trop prononcée n’éveille les défiances de l’Angleterre. Quant au gouvernement anglais, nous devons comprendre les principes constitutionnels et les intérêts traditionnels qui l’empêchent de s’associer à nous dans une guerre contre l’Autriche. Bien loin de nous plaindre de sa neutralité, nous devrions plutôt l’en remercier, si elle nous laisse toute la gloire du triomphe d’une cause que l’Angleterre a toujours encouragée moralement. Le concours de l’Angleterre, demeurant, grâce à sa neutralité, amie des deux puissances belligérantes, ne sera point à dédaigner le jour où il s’agira de consolider par une paix équitable les résultats qui auront été acquis. Mais nous ne prolongerons point ces réflexions. Elles s’évanouissent dans l’émotion de l’heure présente et devant l’ordre de choses si nouveau et de toute façon si gros de conséquences qu’inaugure en ce moment le canon autrichien.