Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 21.djvu/26

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gouvernement nouveau. Encore moins penserons-nous, comme on l’a beaucoup répété, que cette rupture vint du dépit de n’avoir pu trouver, par suite de quelques complications domestiques, une place à sa convenance parmi les soutiens officiels du pouvoir. Il faut chercher plus haut, et dans un motif plus simple, la cause de sa séparation. 1830 Savait détruit, à vrai dire, que la moindre partie de l’œuvre de 1815 : l’établissement politique était tombé; restaient les legs onéreux de la guerre et de la diplomatie. Restaient ces traités de Vienne, élevés comme autant de citadelles qui présentaient à l’horizon de toutes nos frontières les bouches de milliers de canons braqués contre la France. L’héritage que la royauté nouvelle était appelée à recueillir inopinément lui arrivait grevé de ces lourdes charges. Se tiendrait-elle pour obligée de les respecter? Subirait-elle ces entraves, ou bien se lancerait-elle tête baissée, pour les rompre, en dehors du droit public européen? Question pleine d’angoisse qui s’était dressée entre les piques et les fusils sur les barricades mêmes de juillet, et que Carrel n’hésita pas à résoudre en réclamant dès le premier jour la plus complète et la plus prompte revanche de Waterloo.

Au premier moment, tous les échos semblaient répondre à sa voix. Les souvenirs de la France et ses espérances, les vieux soldats et les jeunes gardes nationaux, les poitrines sillonnées de blessures et les cœurs de vingt ans, que le son du clairon fait battre, tout s’émut, tout vibrait à l’unisson. Puis au premier signal révolutionnaire parti des tours de Notre-Dame répondaient, comme autant de fusées, les insurrections de Bruxelles, de Bologne et de Varsovie. Partout des enfans perdus de la révolution se précipitaient pour lui ouvrir les voies dans le monde, comptant bien qu’elle accourrait sur leurs pas pour les défendre. Cet élan, qui avait d’abord semblé soulever toute la France, s’arrêta tout d’un coup devant une résistance dont Carrel ne comprit jamais bien la nature. Tout entier aux sentimens de sa jeunesse, l’imagination toujours pleine de guerre ou de politique, ayant passé sans interruption des camps dans les journaux, sans faire même un instant de station dans le comptoir paternel, il ne s’était point aperçu du changement qu’avait subi le tempérament de la France, changement qui résultait pourtant du développement naturel des principes mêmes de la révolution qu’il défendait. Pendant qu’il conspirait et qu’il écrivait, d’autres travaillaient et s’enrichissaient, et autour de lui s’était formée une société laborieuse et industrielle la moins belliqueuse, encore que la plus démocratique du monde. C’était bien la fille légitime de la démocratie française de 89, ou plutôt c’était elle-même, mais devenue, comme il arrive aux gens qui emploient bien la vie, à la fois plus riche et plus raisonnable. Elle avait pris