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grés, qui du noir au blanc passent par la gamme entière des couleurs. Le gouvernement moral et politique des tribus se trouve souvent en leurs mains, même dans le Tell, où ces alliances sont fréquentes, aussi bien que dans le Sahara.

Plus près de nous, les états limitrophes de Tunis et de Maroc fournissent dès à présent à l’Algérie un double courant d’émigration. Dans la province d’Oran surtout, les Marocains accourent dès qu’il y a des salaires à gagner. Bons manœuvres dans les villes et sur les routes, bons travailleurs de terre dans les campagnes, leur salaire, qui varie, suivant les saisons, entre 2 francs et 2 francs 50 centimes par jour, modère la hausse de la main-d’œuvre européenne sans l’avilir. Malgré ce qu’offre d’avantageux leur concours, les Marocains ont deux torts graves qui rendent préférable la population chrétienne : une rudesse de mœurs trop souvent dangereuse pour la sécurité, et ce que nous appellerons l’absentéisme des salariés, non moins funeste que l’absentéisme des propriétaires. Le pays qui les paie ne profite pas de l’accroissement de leur famille, dont le bénéfice reste acquis à un pays musulman, et on peut dire ennemi; leurs salaires, au lieu d’être dépensés sur place en consommations reproductives, aliment de l’agriculture et de l’industrie, disparaissent de la circulation, et sont emportés presque intacts dans leurs villages.

Ainsi tout nous ramène à l’immigration européenne, les intérêts. matériels comme les intérêts politiques et moraux. Elle seule mérite à un haut degré les sympathies publiques et administratives. Pour accourir du midi et du centre de l’Europe (il faut à peu près renoncer au nord), elle ne réclame que la liberté de venir et la facilité de s’installer avec des garanties qui protègent les droits reconnus. Pour l’attirer, des mesures générales sont nécessaires au lieu de triages individuels. Les populations, comme toutes les forces de la nature, cherchent leur équilibre et coulent où les entraîne la gravitation, c’est-à-dire le besoin, l’intérêt, le bien-être : ubi bene, ibi patria. L’art de l’ingénieur consiste, non à transporter les eaux du fleuve goutte à goutte au sein des campagnes qui doivent être fécondées, mais à lui tracer de larges et profondes issues dans le sens de sa pente naturelle. Le lit à creuser pour faire écouler l’immigration est un milieu social où puissent se déployer à leur aise toutes les nobles aspirations de l’homme, et à leur tête l’amour de la propriété, cette passion que le sophisme a quelquefois flétrie comme la cause de la première usurpation, tandis qu’elle est le principe de la dignité de l’homme et la source de sa domination sur la nature : instrument de liberté plus encore que de richesse.

Une loi fut votée en 1851 pour établir la propriété en Afrique sur