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capitalistes, que les préjugés populaires dénonçaient comme d’avides spéculateurs; Il maintenait un régime politique qui les tenait à distance, comme s’il eût redouté en eux des rivaux d’influence et de pouvoir pour les généraux et les préfets.

Des idées plus saines ont réussi à se faire jour, et l’état ne fournit plus le capital de premier établissement à ceux qui n’en ont pas; mais il n’ose encore compter sur l’émigration pour l’apporter, et il tournerait plus volontiers ses espérances vers les compagnies financières. Sans repousser celles-ci, que l’on ne se hâte pas de désespérer des familles qui en d’autres pays ont fait leurs preuves. Les relevés statistiques les plus certains, et qui se comptent déjà par milliers, établissent que tout émigrant allemand emporte une somme moyenne de 500 francs par tête, soit de 2,000 à 3,000 francs par famille : trop peu encore pour une installation définitive à la tête d’une ferme, assez pour les premiers besoins et de modestes débuts. Le labeur quotidien donnera le reste. Les émigrans trop pauvres pour s’établir dès leur arrivée à leur propre compte concluront d’abord quelque contrat d’engagement comme métayers, colons paritaires, salariés même. Leurs bénéfices et leurs épargnes, grossissant d’année en année, leur permettront d’acheter à leur tour un lot de terre, gage justement ambitionné d’indépendance autant que de fortune. A débuter par le rôle de propriétaire sans ressources suffisantes, une famille se condamne infailliblement a la misère de tous les jours et à une ruine finale et prompte, dont la main tutélaire de l’état ne saurait la préserver, car l’état ne peut devenir en définitive le banquier de tout le monde et payer toutes les dettes.

Sans ce double ressort, le capital importé et le travail persévérant, point de salut pour les colons. Le crédit, tel du moins qu’il est constitué en Algérie, n’offre à la plupart d’entre eux que de fallacieuses amorces. Le crédit foncier n’y existe pas à l’état de grande institution, malgré les nombreux efforts qu’on a tentés pour l’organiser, tantôt en faisant appel à la puissante société de ce nom qui fonctionne en France et qui n’a pas mission d’étendre ses opérations à l’Algérie, tantôt en associant entre eux les propriétaires d’une province. Le caractère provisoire de la propriété, l’incertitude des revenus, la fluctuation de la valeur capitale entre des prix toujours incertains et dans tous les cas très peu élevés comparativement au produit, sont les principaux obstacles qui longtemps encore sans doute paralyseront tous les bons désirs en faveur de la propriété foncière. Les placemens sur immeubles chez les notaires sont peu nombreux, et plutôt sur les maisons que sur les terres. Le crédit agricole semblerait moins difficile à introduire au moyen du prêt sur récoltes pendantes, que pratiquent, conformément à leurs statuts, les ban-