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der la permission, ni imputer la dépense à l’état. Le village compacte de l’Algérie, venu avant terme, copié sur ceux de France, sans tenir compte des causes historiques qui ont ici resserré les populations des campagnes, est contraire à l’esprit rural, cette force morale de l’agriculture, si justement signalé par M. de Lavergne comme une des sources de la prospérité de l’Angleterre : il ne favorise que les cabarets, l’oisiveté, le jeu.

Le village à priori est coupable d’autres torts encore : il entraîne le morcellement exagéré des concessions. Tandis qu’en Europe l’économie rurale ne se résigne au morcellement qu’à contre-cœur, comme à une conséquence fatale de l’égalité des partages et de l’élévation du peuple, en Algérie l’administration l’a introduit dès le début, de gaieté de cœur, sans aucune nécessité. Il n’est pas rare qu’une modeste concession de huit ou dix hectares soit découpée en quatre ou cinq lots, obstacle invincible à la surveillance, à l’irrigation, à toute culture d’ensemble, nouvelle cause de fausses dépenses en allers et retours, en transports. Quand surviennent les décès, tout enfant a droit, comme en France, à une part de chaque nature de biens dans l’héritage paternel. Si le sol est ainsi émietté à la naissance même de la société, que sera-t-il plus tard?

Ce n’est pas que les avantages de la moyenne et de la grande propriété soient méconnus : les représentans de l’état ont toujours eu le bon esprit de les proclamer, et ils auraient été irréprochables, s’ils n’avaient eu la prétention de faire eux-mêmes le classement des trois catégories de propriété, au lieu de les laisser s’agencer et se pénétrer par le libre jeu des intérêts. Avec la concession des terres, cette intervention de l’état ne pouvait s’éviter; avec les ventes, elle sera inutile, à moins que l’état ne s’avise, ce qui est fort à craindre, de fixer d’avance, non une étendue moyenne pour tous les lots d’un territoire, mais une étendue spéciale et diverse pour chaque lot, au gré de ses appréciations, beaucoup moins sûres que celles d’une spéculation intelligente. La population s’est montrée moins éclairée que le gouvernement en laissant percer en mainte occasion une jalousie haineuse contre les grandes propriétés, et les écrivains lui sont trop souvent venus en aide en évoquant le spectre des latifundia qui perdirent Rome. Ces latifundia modernes, qui ont donné lieu à tant de plaintes, sont quelques douzaines de fermes d’un millier d’hectares à peu près, les unes librement acquises à prix d’argent des propriétaires indigènes, les autres concédées en un temps et sur des points où la prise de possession du sol était un acte de courage et une démonstration politique autant qu’une honorable entreprise agricole. Si l’étendue de ces fermes est hors de proportion, ce qui est le cas habituel, avec les ressources des pro-