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indéfinissable médiocrité. Aujourd’hui que des communications de plus en plus rapides mettent sans cesse en contact les habitans des deux hémisphères, une sorte de réaction s’est opérée ; les écrivains de l’Amérique demandent des juges à l’Europe, et surtout à l’Angleterre. Ce qui fait encore défaut à l’Amérique, c’est une classe nombreuse d’hommes cultivés, nourris de fortes études, soucieux d’autre chose que de la richesse, capables de servir de modèles, sinon de guides, à la multitude.

Quel spectacle singulier que celui d’un peuple privé de beaux-arts, de tableaux, de statues, même de ruines, sans aristocratie, séparé par un océan de deux siècles des traditions de la race à laquelle il appartient, ayant pour mission de défricher tout un hémisphère, de dompter une nature encore inculte ! Le besoin le plus impérieux d’un tel peuple, c’est l’éducation. Comment pourra-t-il l’obtenir aussi complète que l’exigent sa grandeur et son ambition ? C’est le problème qu’il se pose sans cesse, et c’est un problème qu’une telle race, libre et délivrée de toute entrave, ne pourra manquer de résoudre un jour. L’Amérique n’a pas encore un grand public, appréciateur des œuvres de l’intelligence ; elle n’a pas même un nombre suffisant d’hommes capables pour occuper les chaires de ses collèges, de ses universités, encore moins celles qu’une intelligente richesse est toute prête à fonder. Les fonctions de l’enseignement ont toujours été honorées aux États-Unis ; mais, par un reste de préjugé anglais, on est encore habitué à croire que l’enseignement est l’emploi naturel d’un esprit peu compréhensif, rompu à la routine, où la mémoire a usurpé la place des autres facultés. Tant que les esprits les plus brillans dédaigneront l’œuvre utile de l’éducation et préféreront courir les hasards du commerce et de la politique, tant que la richesse sera plus honorée aux États-Unis que l’éducation et le caractère, l’enseignement supérieur y sera négligé. Dans les vieilles contrées comme l’Allemagne et la France, où toutes les carrières sont encombrées, toutes les places disputées avec acharnement, le corps enseignant peut recruter des hommes de talent, quelquefois de génie, malgré la modicité presque honteuse des traitemens ; mais aux États-Unis les chances de s’enrichir sont trop nombreuses, et la richesse mène trop ouvertement à la considération sociale pour qu’il ne soit pas nécessaire de récompenser ceux qui se vouent à l’éducation publique avec une extrême libéralité : tâche facile à un peuple qui n’a point de grande armée, point de dette, point de bureaucratie. Il est impossible d’indiquer à l’avance de quelle façon l’éducation deviendra un jour en Amérique une des fonctions les plus importantes de l’état ; mais, comme dit le proverbe anglo-saxon, « où il y a une volonté, il y a un moyen, » et cette volonté est manifeste.