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sur les objets qui se fabriquent dans le pays, vêtemens, outils, ustensiles de ménage, on leur trouve un aspect primitif, disgracieux et grossier, qui atteste l’état arriéré de l’industrie. Le travail des salines situées à Montmorot, aux portes mêmes de la ville, n’offre pas des conditions bien propres à rendre les bras habiles et à exercer les esprits. Ce travail est une simple besogne de manœuvres[1]. Supposez cependant que Lons-le-Saulnier eût recelé quelques germes de l’esprit d’entreprise, cette ville aurait pour ainsi dire trouvé des capitaux sous sa main, à Genève, où ils abondent; elle aurait fait comme une autre ville de l’est placée dans une situation analogue, Mulhouse, qui, animée au plus haut point par le génie de l’industrie, a su tirer si bon parti de son voisinage avec les capitalistes de Bâle[2].

Que la vie intellectuelle ne puisse posséder beaucoup de ressources dans un pareil milieu, on le devine sans peine. Point de sociétés particulières pour la stimuler et la soutenir. Certes il ne manque pas dans le Jura d’hommes instruits qui, du fond de leurs bibliothèques, savent s’associer au mouvement intellectuel de l’époque; il y en a certainement à Lons-le-Saulnier; mais on les trouvera plutôt sur d’autres points du département, — par exemple dans l’ancienne ville parlementaire et universitaire de Dôle, dans la cité abbatiale et épiscopale de Saint-Claude, ou bien même dans certaines bourgades des montagnes, où l’homme, emprisonné si longtemps par les neiges, demande tout naturellement à l’étude un moyen d’occuper les loisirs de l’hiver. L’ignorance, qui est fort commune dans la masse de la population de Lons-le-Saulnier, n’y étouffe point des instincts natifs de clairvoyance tout à fait caractéristiques. Seulement ces instincts ne jaillissent pas d’eux-mêmes au grand jour, le tempérament local n’étant rien moins qu’expansif; on est obligé de fouiller un peu pour les découvrir. Chacun ici se concentre volontiers au dedans de lui-même. Sous ce rapport, la différence est grande entre le pays jurassien et la Bourgogne, ou même d’autres parties de la Franche-Comté, où la causerie, toujours facile, devient si promptement pétulante. La réputation de froideur date de loin pour les habitans du Jura. Le hardi

  1. Disons en passant comment on procède ici. On descend à une extrême profondeur pour trouver l’eau qui a traversé des couches salines. Cette eau, qui contient à peu près 25 pour 100 de sel, est amenée dans d’immenses réservoirs où l’on provoque une cristallisation qui commence par s’opérer à la surface, et finit par tomber au fond des récipiens. De là le sel est porté dans les magasins. Ce n’est pas de la même manière qu’on exploite tous les gîtes de sel gemme. A Dieuze par exemple, dans la Meurthe, on extrait la matière saline toute formée et à l’état solide.
  2. Le département du Jura n’est séparé que par le pays de Gex du territoire de Genève, et Lons-le-Saulnier n’est qu’à dix-huit ou vingt lieues de cette ville.