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tral qui dirige une nation démocratique soit actif et puissant. Il ne s’agit point de le rendre faible ou indolent, mais seulement de l’empêcher d’abuser de son agilité et de sa force[1]. » Tout moyen destiné à remplir cette condition, mais pris en dehors du principe démocratique, en dehors du libre concours de tous à tout, lui paraissait radicalement frappé d’impuissance. Dès lors il voyait le salut de la société dans la formation naturelle du seul genre d’aristocratie que la démocratie comporte, aristocratie mobile composée de tous ceux que les avantages de l’instruction, les loisirs d’une fortune acquise ou conservée, mettent à même, s’ils le veulent, d’exercer autour d’eux, sur toute la surface du pays, une influence légitime, et de servir d’intermédiaires entre le gouvernement et la masse de la nation.

Les plus farouches démocrates, à moins qu’ils ne prétendent rétablir l’Agora d’Athènes, où le peuple se livrait directement à la discussion des affaires publiques, tandis que les esclaves tournaient la meule ou cultivaient la terre, — les plus farouches démocrates sont bien forcés d’admettre qu’il n’y a pas de milieu entre la soumission de tous à la volonté d’un seul et l’intervention sérieuse, permanente, en même temps que régulière du pays, dans ses grandes et dans ses petites affaires, au moyen d’une série de corps électifs composés par le peuple lui-même des citoyens réputés par lui les plus éclairés et les plus honnêtes. Que la pratique sincère de ce gouvernement démocratique et représentatif, que le mouvement régulier de tous ces corps électifs tournant à la fois sur eux-mêmes et autour du pouvoir central, garantissant la liberté sans troubler l’ordre et sans porter atteinte à l’égalité, — que tout cela soit difficile à concilier avec les habitudes que nous tenons du passé, avec la centralisation administrative et avec quelques-uns des vices du cœur humain que la démocratie elle-même favorise, on ne saurait le contester, et cette difficulté est un des points sur lesquels l’auteur de la Démocratie en Amérique et de l’Ancien Régime et la Révolution a toujours insisté le plus fortement. Cependant, comme après tout la solution de ce problème, malgré les difficultés qu’y ajoutent nos mœurs et nos goûts, est de toutes les tendances de l’esprit moderne celle qui, après la passion de l’égalité, paraît la plus invincible, celle dont la satisfaction peut bien être quelquefois ajour- née ou éludée sous l’influence de circonstances particulières, mais ne pourra jamais être irrévocablement écartée; comme enfin la solution du problème dépend surtout des progrès que fera l’esprit de gouvernement dans le sens démocratique parmi les classes éclairées

  1. De la Démocratie en Amérique, t. IV, p. 323.