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de la conclusion, le tout refondu et orné des belles pages que tout le monde a admirées, et entre autres de celle que nous avons citée plus haut sur l’esprit de 89, avec ce billet d’envoi : « Je me hâte de vous envoyer la tête et la queue de mon œuvre. L’avant-propos est le fruit de la conversation que nous avons eue ensemble il y a quinze jours. J’espère qu’il répondra à l’idée que vous vous en faisiez, et vous paraîtra ce que vous croyiez qu’il devait être. »

Ce fonds de modestie, qui s’associait chez lui à une grande fierté de caractère, le rendait non-seulement facile à embarrasser par une louange trop directe, mais disposé à cacher même ce qui le flattait le plus dans les démonstrations sympathiques ou admiratives dont il était quelquefois l’objet. Après l’éclatant succès de son dernier ouvrage, il avait fait en 1857 un voyage en Angleterre; il y avait été reçu avec ce fanatisme que la haute société anglaise manifeste de temps en temps pour les étrangers illustres qui ont conquis son admiration et son estime. Les salons et les clubs les plus exclusifs de Londres se disputaient la faveur de sa présence. Le gouvernement anglais lui-même s’était associé au public en donnant à ce simple particulier un témoignage de considération aussi éclatant que délicat, car, au moment où il se préparait à se rembarquer dans le port le plus voisin de Cherbourg, un capitaine de frégate était venu lui annoncer qu’il avait reçu ordre de mettre son bâtiment à sa disposition, et que le gouvernement anglais voulait se donner le plaisir de le faire reconduire chez lui. Quelques heures plus tard, le navire anglais entrait dans la rade de Cherbourg, et, après les saluts d’usage, il déposait sur la rive un petit monsieur en paletot avec sa malle, et repartait immédiatement, afin de constater qu’il n’était venu que pour ce petit monsieur. Combien d’autres se seraient arrangés pour communiquer ce fait à tous les organes de la publicité! Alexis de Tocqueville en prit si peu de souci, que nous doutons qu’aucun journal de Paris en ait jamais parlé. Nous nous rappelons seulement qu’un journal étranger qui se pique d’être bien informé, apprenant qu’une frégate anglaise avait amené quelqu’un à Cherbourg, annonçait à ses lecteurs qu’il s’agissait d’un aide-de-camp de l’empereur des Français qui venait de régler le cérémonial d’une entrevue avec la reine d’Angleterre à Osborne, dont il était question alors, et que cette méprise faisait beaucoup rire Alexis de Tocqueville. Ce que nous pouvons affirmer, c’est qu’un des meilleurs amis de ce dernier, qui l’avait précisément accompagné dans ce voyage d’Angleterre, mais qui était revenu avant lui, n’a tout récemment appris le fait que par nous-même.

C’est au commencement de l’automne dernier que l’affection de poitrine dont souffrait l’illustre écrivain lui fit sentir assez grave-