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inquiète et troublée qui précéda en Italie les révolutions de 1848. Après avoir décrit l’habitation, il est temps de parler des habitans, et d’abord du fermier et de sa femme. Unis depuis leurs plus jeunes années, ils s’étaient mariés sans se connaître, obéissant au choix de leurs parens. L’un et l’autre appartenaient à une variété de l’espèce humaine presque perdue aujourd’hui, qui prenait au pied de la lettre tous les préceptes imposés à son enfance, et qui passait sa vie sans songer seulement à en examiner un. Pour de tels êtres, il n’y avait pas de plus ni de moins dans le péché, ou plutôt il n’y avait dans le monde qu’un seul grand péché, source de tous les autres, celui d’Adam, la désobéissance. Leurs parens étaient pour eux le Père céleste, ou du moins ses représentans sur la terre; le curé de leur paroisse n’était pas moins infaillible que le Saint-Esprit, et le pape était l’infaillibilité même. Quant aux autorités de la terre, rois, princes et commissaires de police, ils pouvaient avoir tort vis-à-vis de Dieu et de ses ministres, mais le rôle du sujet était d’obéir constamment, en tout cas, sans murmure, sans rancune et avec le plus profond respect. Une soumission si absolue de l’intelligence n’excluait pas la fermeté du caractère. Le fermier et sa femme s’aimèrent, d’abord parce qu’on leur expliqua au sortir de l’église que le prêtre leur avait ordonné de s’aimer: plus tard, ils s’aimèrent comme les nobles cœurs et les âmes pures savent aimer. Ils s’aimèrent dans la joie et dans les larmes, dans la prospérité et la détresse, dans la jeunesse et l’âge avancé. Le mari était le maître assurément, et jamais la femme ne conçut la pensée de murmurer contre cette autorité; jamais aussi la volonté du maître ne comprima brutalement les désirs de la servante. S’il commandait, ce n’était ni en son nom ni pour imposer ses goûts à sa compagne; c’était parce qu’il connaissait mieux qu’elle ses devoirs : or c’eût été manquer de charité que de voir sa feu)me prête à mal faire sans essayer de la retenir sur le bord de l’abîme.

La fermière, qui avait été jolie dans sa première jeunesse, perdit de bonne heure tous ses charmes, mais son mari ne s’en aperçut jamais. Pour lui, elle fut toujours fraîche et belle, aimable et digne en toute chose de son amour, puisque cet amour était à elle. En dépit des lieux-communs sur l’injustice du sort. Dieu bénit cette union et ces pieux époux. Une nombreuse lignée, — cinq garçons et six filles, — naquit d’eux, et les patriarches des anciens jours n’eurent jamais de plus belle couronne que celle du signor et de la signora Stella (c’est ainsi qu’on les appelait respectueusement dans le pays).

Tous les fermiers des environs, même les parens collatéraux du signor et de la signora, — de M. et de Mme Stella, si on l’aime mieux,