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les accueillit comme des frères et des libérateurs. La ville était animée des meilleures et des plus fortes intentions. Les rues avaient été couvertes de barricades, toute la population était à son poste, prête à combattre, et la veille du jour marqué pour la grande bataille, toutes les maisons avaient été spontanément illuminées, comme pour fêter à l’avance l’heure du combat. Au milieu de tant d’enthousiasme et de résolution, quel esprit s’était glissé dans les conseils royaux pour y souffler la défiance et le découragement?... Mais je n’écris pas l’histoire de 1848, je n’oublie pas surtout que justice a été pleinement rendue à cet héroïque et infortuné souverain que la douleur de sa défaite a tué, mais qui a laissé en mourant à son pays, à l’Italie tout entière, un successeur si loyal, si brave et si dévoué, qu’il suffit à justifier de tout reproche le père qui l’a formé. C’est de Paolino et de ses compagnons d’armes que j’ai seulement à m’occuper ici.

Parmi leurs officiers, quelques-uns affectaient de ne rien voir d’extraordinaire dans les événemens, et prétendaient s’y attendre depuis longtemps : cette retraite était une manœuvre fort habile; on verrait plus tard, et ceux qui murmuraient à cette heure reconnaîtraient avant peu leur méprise. D’autres partageaient l’étonnement et la douleur des soldats; ils étaient bouleversés, confondus, et ne savaient quel parti prendre. Les officiers satisfaits parlaient de se replier sur Novare et d’y attendre les ordres du roi Charles-Albert; les autres, et presque tous les soldats avec eux, déclaraient que mieux valait se livrer directement entre les mains des Autrichiens que de prolonger une résistance qu’on semblait croire inutile. Il arriva ce qu’on pouvait prévoir : le corps des volontaires fut dissous, et, à l’exception d’un petit nombre qui suivit son commandant en Piémont, le reste chercha son salut dans la fuite et l’isolement.

A demi mort de fatigue et de désespoir, Paolo s’était jeté vers le soir dans des sentiers détournés qu’il connaissait bien, et qui le conduisirent en quelques heures auprès d’un petit bâtiment en ruines qui servait pendant l’été d’abri aux troupeaux de son père. Filippo l’accompagnait, et tous deux se cachèrent dans l’intérieur d’un fossé bordé d’arbres et assez profond pour que deux hommes de haute taille pussent s’y tenir à pied et sans être aperçus de ceux qui travaillaient dans les champs ou qui suivaient le sentier. Ils se proposaient d’attendre ainsi la nuit close et de gagner alors une porte dérobée qui donnait dans l’intérieur de la ferme, à moins que quelque membre de leur famille ne vînt à passer auparavant à portée de leur voix.

Le soleil se levait alors sur l’horizon, et Paolo, qui avait marché toute la nuit malgré ses blessures et ses fatigues récentes, ne tarda