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qui planait sur tous, mille pénibles préoccupations absorbaient presque entièrement le chef des volontaires, et il accueillit Rachel plutôt comme une affiliée qui devait pourvoir à son salut que comme une femme aimée qui accourait partager et soulager sa douleur. Il lui demanda des nouvelles, reçut celles qu’elle lui apportait avec désespoir, et passa minutieusement en revue toutes les précautions qu’il faudrait prendre pour empêcher qu’on ne découvrît son séjour à la ferme. La crainte de compromettre sa famille entrait sans doute pour une large part dans ses appréhensions; mais Rachel eût désiré qu’il s’en rapportât à elle pour éviter ce péril, et qu’il s’occupât d’autre chose que de son salut. Ce n’est pas qu’il négligeât tout le reste, car il raconta dans les moindres détails les événemens auxquels il avait assisté pendant la campagne du Tyrol, les soupçons qui l’avaient poursuivi durant tout ce temps, les efforts qu’il avait faits pour s’en délivrer, et les motifs qu’il croyait avoir d’y persister. Tout cela n’avait aucun rapport direct avec sa sûreté personnelle, et pourtant Rachel ne l’écoutait pas sans impatience. — Ne m’aime-t-il donc plus, que tous ces intérêts l’occupent seuls au moment où il me retrouve après une si longue absence? Ah! que mon amour est différent du sien ! Moi aussi, j’aime mon pays, je lui sacrifierais ma vie, si ma vie pouvait lui être de quelque utilité; mais en un moment pareil je pourrais bien l’oublier, s’il ne m’en parlait pas constamment.

Et elle écoutait les récits de Paolino d’un air distrait, que celui-ci n’eut garde d’interpréter avec bienveillance. — Toutes les femmes se ressemblent, pensait-il; un enthousiasme passager, mais point de constance! Les grandes pensées les fatiguent, les revers les accablent et les dégoûtent. Les meilleures même sont faites ainsi.

La nuit suivante vit les fugitifs installés dans une partie reculée de l’habitation, où l’on avait rassemblé à la hâte tout ce dont ils pouvaient avoir besoin. La pauvre mère de famille était toute tremblante, sans savoir au juste pourquoi. Ayant passé toute sa vie dans l’intérieur de sa famille et de cette ferme isolée, les puissans du monde étaient pour elle une sorte d’abstraction, comme le sont pour nous les personnages de l’histoire ancienne. Jamais elle ne s’était trouvée en contact avec les représentans ni avec les exécuteurs de la loi, et si on lui eût demandé tout à coup de jurer qu’il y avait dans ce bas monde des juges et des gendarmes, sa conscience se fût alarmée. Aussi la pensée qu’on pût découvrir ses fils et les arracher de ses bras ne l’atteignit pas, et sauf une vague terreur dont elle ne se rendait pas compte et qu’elle se reprochait comme un enfantillage, la blessure de Paolino l’inquiétait seule.

Mieux informé, le signor Stella était par conséquent moins ras-