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déjà écrasée par les précédens emprunts du gouvernement autrichien, obligée d’accroître encore indéfiniment ses prêts à ce gouvernement et suspendant ses paiemens, avec la Banque de France, qui est au contraire débitrice envers l’état, et qui a dans ses caisses plus de 500 millions en numéraire ! Que l’on compare l’échec de l’emprunt autrichien à la bourse de Londres avec le succès immense de notre emprunt de 500 millions ! La France aurait pu, avec de simples ressources de trésorerie, faire les frais d’une première campagne. Nous pensons qu’elle a bien fait cependant de se préparer des ressources plus régulières en présence des éventualités que la guerre fait naître. Sur ce point, nous croyons toutefois devoir faire une réserve quant au mode employé encore chez nous pour faire face aux dépenses extraordinaires de la guerre. Nous sommes très heureux que les emprunts réussissent, puisque l’on n’a pas encore songé en France à pourvoir d’une autre façon aux frais de la guerre ; mais nous ne partageons pas complètement l’enthousiasme qu’excite chez les esprits peu réfléchis la facilité avec laquelle se couvrent nos souscriptions d’emprunts. Qu’y a-t-il de surprenant que dans un pays riche comme la France les capitaux se précipitent lorsque l’état leur offre des fonds publics à 3 ou 4 pour 100 au-dessous du cours ? Quand a-t-on vu les capitaux se montrer indociles à l’aspect d’un tel profit ? L’Angleterre, du temps des guerres de la révolution et de l’empire, fit, comme on sait, un usage excessif des emprunts ; aussi la classe des capitalistes était la partie de la nation chez laquelle la guerre était le plus populaire. Avec le système des emprunts, c’est en effet la génération qui se laisse aller aux entraînemens de la guerre qui en recueille les bénéfices financiers. Toutes les charges en retombent sur les générations futures, obligées de payer à perpétuité les rentes créées par les emprunts, et entravées ainsi, par la nécessité de maintenir de lourdes taxes, dans leur développement industriel et commercial et dans l’amélioration du sort des classes laborieuses, qu’affecte principalement le poids des impôts. Aussi M. Gladstone s’est-il acquis un impérissable honneur en établissant dans la politique financière de l’Angleterre, lors de la guerre d"Orient, ce grand principe de justice et de bon sens, que les frais d’une guerre ne doivent pas être imputés à perpétuité à la postérité, qui blâmera peut-être l’entreprise pour laquelle ils auront été encourus, mais qu’ils doivent être supportés par les générations contemporaines, qui ont voulu la guerre ou qui l’ont jugée politique et nécessaire. Depuis lors la politique anglaise admet que la guerre doit être faite non avec des emprunts, mais avec des augmentations temporaires d’impôts. Le grand avantage de ce système, s’il était adopté par toutes les nations civilisées, serait de mettre un frein matériel et moral à cette passion de la guerre qui s’empare quelquefois des gouvernemens et des peuples. Les Anglais ne songent point à l’abandonner : l’autre jour encore, le chancelier de l’échiquier, M. Disraeli, parlait de notre emprunt devant ses électeurs du comté de Buckingham, et il faisait remarquer avec orgueil à son auditoire que, si l’Angleterre avait aujourd’hui besoin de 500 millions pour la guerre, ce n’est point à l’emprunt qu’elle les demanderait, mais à l’impôt : non à l’emprunt, qui est une occasion de bénéfice pour quelques-uns dans le présent et une charge perpétuelle pour tous dans l’avenir, mais à l’impôt temporaire.