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Enfin Vergniaud l’emporta, et Mme Elliott put rentrer chez elle, mais pour y subir de la part de sa section des persécutions incessantes.

Arrêtée bientôt une seconde fois, elle fut conduite à Sainte-Pélagie, ce qui lui procura la connaissance de Mme Du Barry. Souvent celle-ci venait s’asseoir sur son lit pour lui raconter durant des heures entières des anecdotes sur le roi Louis XV et sur sa cour, et déjà la malheureuse laissait voir les angoisses qu’elle devait trahir plus tard sur l’échafaud. Ici Mme Elliott fait observer avec raison que si ces scènes violentes s’étaient plus souvent répétées, la foule eût été plus émue qu’au spectacle de l’impassible héroïsme généralement déployé alors, et eût peut-être mis plus tôt un terme à ces indignes exécutions. De Sainte-Pélagie, Mme Elliott fut conduite devant le comité de salut public, qui visitait alors les papiers du duc d’Orléans. Tout s’y passa bien, et elle fut de nouveau rendue à une mensongère liberté. Cependant les membres de sa section avaient juré sa perte et le lui dirent, si bien qu’elle s’évade encore de Paris pour réclamer son arrestation à Meudon, où les dispositions lui étaient moins hostiles. Par une pluie battante, on la conduit à Versailles dans une charrette, pour l’écrouer, trempée jusqu’aux os, dans la prison dite des Récollets, elle y est renfermée dans une grande pièce, d’une saleté épouvantable, avec des condamnés dont les égaremens avaient été totalement étrangers à la politique. Rien de plus affreux que le régime de cette prison, si horriblement humide, que la plupart des prévenus y perdaient leurs dents : du pain d’orge, des harengs saurs; les jours de fête, des potages où la dépouille mortelle du cheval et de l’âne entrait comme élément principal. En revanche, on faisait aux Récollets des connaissances agréables. Un jour, notre belle prisonnière entre dans la chambre du geôlier, et y rencontre un jeune homme, beau, bien mis, qui buvait avec lui un verre de vin. On l’engage à se mettre de la partie, et elle n’ose refuser. Le jeune homme regarde sa montre et se lève. « Il faut le cultiver, s’écrie le geôlier, c’est le jeune Samson, et peut-être sera-ce lui qui vous coupera la tête. — Ce ne sera pas long, remarqua celui-ci en lui prenant le cou : vous êtes si fine et si mince d’ici, que je ne vous ferai pas languir, si c’est moi qui dois vous expédier. »

Elle ne devait cependant pas avoir recours aux bons offices du jeune Samson. Sous je ne sais quel prétexte, on la transfère un beau matin à Paris, au milieu des outrages de la populace, pour l’enfermer d’abord aux anciennes écuries de la reine, toutes remplies de malheureux prisonniers qui venaient de faire la route entière de Nantes à pied, et qui couchent à ses côtés sur la paille dans l’état le plus pitoyable. Alors tout était prison à Paris, pourvu que l’espace s’y trouvât, et pourtant l’espace manquait encore, car tout regorgeait de détenus. On trouve enfin à la placer aux Carmes, lieu célèbre par le massacre récent des prêtres et de l’évêque d’Arras. Là, quelle étrange réunion! La duchesse d’Aiguillon, Mme Lamotte, M. et Mme de Custine qui s’aiment éperdument, M. et Mme de Beauharnais, longtemps séparés et qui se retrouvent au pied de l’échafaud, où lui seul pourtant devait monter; le général Hoche, très aimable; Santerre, plus empressé encore et toujours aux petits soins avec ses compagnons d’infortune. C’est aussi aux Carmes que Mme Elliott revoit la comtesse de Jarnac, dont elle parle souvent dans sa relation, et notamment pour avoir recueilli chez elle, au plus fort