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vent se manifester sans porter atteinte aux devoirs les plus sacrés et les plus impérieux. M. de Lirmay n’a pas sacrifié seulement à cet amour sa fortune et le bonheur domestique, il lui a sacrifié aussi la fortune et l’honneur de sa famille : Renée était en effet une jeune fille confiée à sa garde et qui vivait dans sa maison. M. Uchard a su tout d’abord rendre sympathique ce dernier personnage, qui n’appartient ni par ses paroles, ni par ses actes, à la race avide des femmes perdues. Sans doute Renée a trahi les devoirs de l’hospitalité, elle s’est laissé séduire par le mari de sa bienfaitrice; mais jusqu’à quel point pouvait-elle résister à cette séduction? Jusqu’à quel point une jeune fille pauvre et isolée, à qui son éducation a donné le goût du luxe, qui ne serait pas femme si, dans une position presque humiliante, elle ne se sentait mordre par la jalousie et la vanité, pouvait-elle se refuser à la secrète satisfaction de ses désirs, alors qu’elle s’y voyait sollicitée par celui-là même qui eût dû la préserver?

Au moment où la pièce s’ouvre, l’oubli des devoirs mutuels est déjà suivi, chez la jeune fille, de repentir et de dégoût; pour M. de Lirmay, il est accompagné de la ruine, qui est imminente et que tout à l’heure il ne pourra plus cacher. C’est alors qu’un parent de Renée, celui qui l’a confiée autrefois à Mme de Lirmay, et qui, pour lui gagner une fortune, s’est volontairement expatrié, apprend à son retour d’Amérique le déshonneur de celle qu’il aime. Deux scènes, très vives et très bien faites, se succèdent : dans l’une, Julien, calme et digne, vient reprocher à Renée la honte dont elle s’est couverte et l’ingratitude dont elle a payé son dévouement; dans l’autre. Renée, frémissante et ayant horreur d’elle-même, repousse M. de Lirmay et lui déclare qu’elle ne le connaît plus. En vain celui-ci prie et pleure, en vain s’écrie-t-il que cet amour qui lui est enlevé, c’est sa jeunesse qui s’en va pour ne plus revenir désormais : sa maîtresse demeure inexorable.

A de pareilles fautes, le repentir ne suffit point; elles exigent une sérieuse expiation, et tel est le but que poursuit la seconde moitié du drame de M. Mario Uchard. Julien exige de Mme de Lirmay le nom du séducteur de Renée. A son trouble, il croit d’abord que c’est de son fils qu’il s’agit, lorsqu’il comprend bientôt que c’est au mari et au père qu’il doit demander une sanglante réparation. Et maintenant celui-ci arrive, le malheureux! courbé sous le désespoir d’une passion qui ne sait plus où se prendre et sous un désastre connu aujourd’hui de tout le monde. Il lui faut subir les remontrances doucereuses de ses amis, les reproches plus amers de son gendre, de sa fille, dont il a compromis la dot, et, douleur plus poignante peut-être, la muette résignation de sa femme, dont il n’a point épargné la fortune. Devant un pareil malheur, devant le pardon accordé au mari par l’épouse offensée, Julien peut-il forcer M. de Lirmay à se battre avec lui, et s’il ne le peut pas, où sera la réparation, où sera la moralité de la pièce? Elle est tout entière là où elle devait être, dans l’hommage rendu à Mme de Lirmay, aux pieds de laquelle Julien humilie Renée, et quand celle-ci, après un tel effort, se relève presque purifiée, qui oserait contester à Julien le droit de sauver complètement celle qu’il aime en lui criant : « Je t’épouse! » Ce cri, quoi qu’on en ait dit, n’éclate pas comme une note discordante, et ce n’est point un effet combiné contre nature pour les besoins du dénoû-