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même ici, l’accessoire l’emporte sur le principal, et que la prédilection excessive avec laquelle les objets secondaires sont étudiés et rendus amoindrisse la signification essentielle de la scène, l’impression dramatique que devait produire le cadavre sanglant de César gisant abandonné. Lorsqu’on examine isolément cette figure, nul doute qu’on n’apprécie l’exactitude du dessin et l’habileté avec laquelle le raccourci des membres s’exprime sous la draperie qui les enveloppe ; mais au premier aspect ce mérite disparaît presque, tant la figure du héros est sacrifiée et comme perdue dans la toile. Le choix de l’effet, aussi bien que l’ordonnance des lignes, semble avoir pour objet d’en diminuer l’importance. L’étendue déjà trop vaste du fond s’exagère encore par l’éclat du jour qui l’éclaire, tandis que le corps de César, dont les pieds seulement reçoivent la lumière, est plongé dans une ombre épaisse, si épaisse même que le peu qu’on entrevoit des chairs à l’apparence et la couleur du bois. Il y a dans cette disproportion entre la figure et le champ du tableau une faute grave de composition qu’on s’étonne de voir commise par un artiste dont la qualité principale est le goût. Le côté expressif du sujet apparaîtrait bien plus nettement, l’effet dramatique serait plus puissant et plus sûr, si, au lieu d’être ainsi délayée, la composition se trouvait resserrée dans des limites étroites. Deux toiles, bien que fort différentes quant à la manière, nous serviront d’exemples : l’une, sorte d’ex-voto peint par Velasquez, ornait, il y a quelques années, la galerie de M. Pourtalès : elle représente un homme assassiné dans la campagne et étendu à terre à peu près de la même façon que le César de M. Gérôme ; l’autre est le Christ mort de Philippe de Champagne, que possède le musée du Louvre. Dans ces deux tableaux, le peu d’espace laissé au-dessus et autour des figures ajoute à l’impression de terreur, au sens lugubre de la scène : elles semblent l’une et l’autre d’autant plus immobiles, d’autant mieux envahies et vaincues par la mort, qu’elles sont comme opprimées par l’exiguïté du champ pittoresque. Nous regrettons que M. Gérôme n’ait pas cru devoir adopter en ceci la méthode de Velasquez et de Philippe de Champagne, et que dans le sujet choisi par lui, dans cette grande scène de l’histoire, il ait trouvé surtout l’occasion de nous montrer une salle vide et quelques sièges renversés.

On peut rapprocher du César de M. Gérôme le Junius Brutus de M. Ulman, non certes que l’attention publique se partage également entre ces deux ouvrages, mais parce qu’ils la méritent l’un et l’autre à des titres à peu près égaux. Qui sait même ? peut-être ne manque-t-il au tableau de M. Ulman, pour être plus généralement apprécié, qu’une place moins défavorable et la recommandation d’un nom dès longtemps connu ; peut-être y a-t-il en réalité autant