Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 21.djvu/520

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

premier plan, donne la main à une petite fille, les profils des religieuses et des franciscains, et les jeunes filles en costume de pénitentes marchant devant le crucifix. Pas d’artifice, mais un art profond, une rare fermeté de sentiment, une complète indépendance dans la manière, en un mot une véracité aussi éloignée de la servilité que de la jactance, telles sont les qualités qui donnent une importance considérable à ce simple tableau de genre, l’une des œuvres les plus sérieuses au fond et le plus franchement originales qui aient paru depuis longtemps.

Le Lundi ne ressemble au tableau dont nous venons de parler que par la justesse des expressions et l’extrême netteté du style : tout d’ailleurs diffère dans ces deux toiles. Il s’agit ici d’une scène de cabaret. Nous avons en général peu de goût pour les sujets de ce genre, et nous avouons même que toute la science pittoresque des petits maîtres hollandais et flamands ne les absout pas à nos yeux du tort grave d’avoir avili la peinture et leur propre talent. Chez Ostade, il est vrai, comme chez Teniers, les bizarreries, les vilenies même de la débauche sont reproduites avec une entière complaisance et sans autre dessein apparent que l’intention de les célébrer. M. Breton du moins a envisagé un sujet bas et fâcheux en soi à un point de vue plus digne de l’art. L’élément comique a une large part sans doute dans la composition de son tableau, et les figures du garde champêtre endormi, du buveur qui, en souriant d’un air bénin, cherche à protester de sa tempérance, révèlent à la fois trop d’indulgence pour des vérités de cet ordre et une habileté singulière à les exprimer ; mais, à côté de ces figures, celle de la femme qui, le bras étendu, le reproche dans les yeux et sur les lèvres, indique à son mari le chemin du logis, n’a-t-elle pas dans le geste, dans l’expression des traits, dans la physionomie générale, un caractère de fermeté, on dirait presque de grandeur, qui rachète ce que la scène en elle-même a de vulgaire ou d’inutile ? Nous regretterions cependant que M. Breton se laissât de nouveau séduire par quelque sujet appartenant à la classe des faits représentés dans son Lundi. Le charmant tableau qu’il exposait au Salon dernier, la Bénédiction des Blés, présage d’un talent aujourd’hui manifeste, les Glaneuses, le Calvaire, et même cette simple figure, une Couturière de Village, où il a personnifié la jeunesse honnête, la solitude paisible et le travail, voilà les thèmes qui conviennent à son pinceau. La moitié du talent consiste dans la connaissance exacte de ses aptitudes, dans la poursuite constante des vérités qu’on est le mieux en mesure de saisir et de s’approprier. Après les épreuves déjà subies, M. Breton doit savoir à quoi s’en tenir sur ses facultés personnelles et sur le genre de succès qui lui sont expressément