Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 21.djvu/521

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

réservés. Son habileté, peut grandir encore, son sentiment se développer et s’affermir, mais à la condition de respecter la foi et les inspirations originelles, et de ne rechercher le progrès que dans la voie naturellement tracée.

De tous les peintres, — et le nombre en est grand, — qui ont exposé au Salon des scènes rustiques, M. Brion mérite d’être nommé le premier après M. Breton. Son Jeu de Quilles, ses Bretons à la porte d’une église pendant la messe, surtout son tableau représentant un Enterrement (bords du Rhin), révèlent une véritable finesse d’observation, des intentions neuves et un goût délicat. L’Enterrement en particulier fait honneur au talent de M. Brion. La morne tristesse des villageois qui demeurent immobiles sur le rivage, tandis qu’une barque emporte les restes de l’être qu’ils ont aimé, la douleur amère, mais silencieuse, des deux vieillards assis à côté du cercueil, le désespoir de la jeune femme debout en face d’eux, tout dans ce petit tableau est rendu avec justesse et avec une simplicité touchante ; tout résulte d’une émotion vraie, fort contraire à la fausse sensibilité dont il n’est pas rare de rencontrer des traces en pareil cas. Ajoutons que la lueur blafarde répandue sur le ciel et sur les eaux complète l’expression lugubre des figures et la signification morale de la scène ; mais il faut remarquer aussi que les tons manquent parfois de solidité, que quelque négligence se trahit dans l’exécution de certaines parties, des plantes aquatiques par exemple qui garnissent le premier, plan, et où l’on reconnaît les touches rapides et les accidens du pinceau bien plutôt que les formes empruntées à la nature. En général, il y a dans les tableaux de M. Brion une sorte de transparence, de coloris vitreux pour ainsi dire qui nuit au modelé des corps et en compromet la vraisemblance. Quelques efforts pour combattre ce défaut, moins sensible déjà dans les Bretons à la porte d’une église que dans l’Enterrement et dans le Jeu de Quilles, quelque défiance un peu plus habituelle de la facilité, et M. Brion achèvera de s’assurer un rang très honorable parmi les peintres de genre, si nombreux d’ailleurs et si habiles qu’ils se montrent aujourd’hui.

Il serait impossible au surplus, même dans un examen du Salon plus détaillé que celui-ci, de mentionner tous les ouvrages de quelque mérite appartenant soit à la peinture de genre proprement dite, soit à un ordre d’art plus relevé, bien qu’en dehors des conditions et du style de l’histoire. Le talent, mais un talent secondaire, il est vrai, est devenu le privilège de tant de gens, l’habileté se prouve si bien aux mains de tout le monde, qu’on est forcé de s’en tenir sur ce point aux appréciations collectives et aux aperçus généraux. Nous ne saurions toutefois passer ici sous silence une très