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statues antiques suivant les procédés d’académie, et rééditent pour ainsi dire avec une imperturbable banalité de goût des types déjà tirés à des milliers d’exemplaires ; d’autres enfin demandent quelque chose de plus que des conseils aux monumens du moyen âge, de la renaissance italienne, ou même aux morceaux les plus renommés de l’école moderne, et se contentent de reproduire, sauf quelques variantes, ceux-ci les jeunes pêcheursde Rude et de M. Duret, ceux-là les figures légendaires de nos cathédrales ou les bas-reliefs des cinquecentisti florentins. Partout l’absence non pas de talent, mais d’invention ; partout une volonté systématique d’interpréter de préférence à la nature les œuvres d’un maître ou d’une époque. De là l’intérêt médiocre que présentent les sculptures exposées au palais des Champs-Elysées. Si plusieurs se recommandent par la correction et le goût, aucune n’a une signification assez sérieuse, une valeur assez incontestable pour s’isoler tout à fait du reste et mériter le succès à plus juste titre que telle œuvre voisine. L’abstention des statuaires les plus éminens de notre école explique au reste cette insuffisance de l’exposition actuelle. On n’y voit rien de la main de M. Barye. À l’exception de M. Jaley, qui d’ailleurs n’a envoyé que deux bustes, aucun des membres de la section de sculpture à l’Académie des Beaux-Arts n’a pris part au concours. Il n’est pas jusqu’aux révolutionnaires dont les témérités faisaient jadis scandale et réussissaient du moins à alimenter la controverse, à passionner l’opinion, — il n’est pas jusqu’aux athlètes les plus résolus autrefois à combattre qui ne déclinent aujourd’hui la lutte. M. Préault lui-même montre pour le Salon autant d’indifférence que les membres de l’Institut ; comme eux, il laisse la place libre aux entreprises modestes ou aux honnêtes médiocrités.

Les statues, les groupes et les bas-reliefs réunis au Salon n’expriment donc en général que des convictions à peu près négatives et, comme les tableaux et les dessins, un fâcheux éparpillement de forces et de doctrines. Comme l’école de peinture aussi, l’école de sculpture tend à faire prévaloir l’agréable sur le beau, l’adresse de la pratique sur l’habileté savante, et, là même où le talent est le moins équivoque, il se ressent encore de cette propension universelle à rabaisser les conditions de l’art. Une très jolie figure en bronze, la Fileuse de M. Moreau, est un spécimen, accompli dans ce sens, des inclinations et de la foi modernes. Joli est bien le mot qui convient à cet ouvrage, où il ne faut chercher ni l’élévation de la pensée, ni la vigueur de l’exécution, mais où l’on ne trouvera ni afféterie dans le style, ni grâce ouvertement empruntée à autrui. Il y a pourtant là comme l’expression d’un éclectisme discret, d’une conciliation ingénieuse entre les exigences du goût actuel et certaines