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et de collectors lorsque la nouvelle y parvint de la révolte de Meerut. Huit jours s’étaient à peine écoulés, qu’une sourde agitation se manifestait dans tout le district. M. Edwards, justement inquiet pour sa femme et ses enfans, les dirigea sans retard vers un de ces établissemens qui, profondément abrités dans les gorges de l’Himalaya, devaient rester jusqu’à la dernière heure préservés des contre-coups du mouvement insurrectionnel. Cette précaution, justifiée par l’événement, ne fut pas prise un jour trop tôt, car, pour arriver à Nynee-Tal[1], le but de leur voyage, mistress Edwards et ses enfans avaient à traverser Bareilly, qu’ils trouvèrent déjà évacuée par toutes les familles européennes. Huit jours après leur passage éclatait l’insurrection militaire de cette ville, insurrection marquée au coin de la préméditation la plus cruelle et la mieux dissimulée. Les officiers anglais, trompés jusqu’à la dernière minute par des protestations de fidélité cent fois réitérées, ne doutèrent point de leurs soldats jusqu’au moment où commença le massacre. À huit heures du matin, le 31 mai 1857, le major Pearson, commandant le 18e indigène, attestait encore l’inébranlable loyauté de ses hommes ; à onze heures, un coup de canon avertissait les cipayes restés dans leurs lignes que le moment d’agir était venu pour eux. Les sentinelles tiraient sur ces mêmes officiers auxquels cinq minutes plus tôt elles avaient présenté l’arme avec tout le respect imaginable. Les canons étaient braqués sur les divers points de réunion de l’état-major, anglais, et ce fut à grand’peine que, sous l’escorte du 8e de cavalerie, encore indécis, ceux des officiers que les balles n’avaient pas atteints purent sortir de Bareilly dans la direction de Nynee-Tal. Une petite colonne de cipayes, munie d’un canon, les suivait de loin. Les cavaliers du 8°, à quelques milles de la cité, demandèrent eux-mêmes un retour offensif qui leur fournît l’occasion de sabrer cet audacieux détachement. On applaudit à leur zèle inespéré, le capitaine Mackensie les conduisit au feu ; mais à peine furent-ils en face de leurs camarades et eurent-ils vu déployer l’étendard vert, symbole de leur foi commune, qu’ils hésitèrent et finirent par passer du côté des rebelles. Le canon amené par ceux-ci fut tourné à l’instant même sur le capitaine anglais et le petit nombre de sowars encore groupés autour de lui : on leur enjoignit de s’éloigner sous peine de mort, et ils partirent en effet au grand galop. Quant au major Pearson, il avait péri des premiers.

Ainsi se trouvait accomplie en quelques heures la révolte du Ro-hilcund, dont Bareilly était le centre militaire[2]. Un capitaine

  1. La station de Nynee-Tal est à quatre-vingt-dix milles au nord de Bareilly.
  2. Il y avait à Bareilly le 31 mai, outre le 8e de cavalerie irrégulière, deux régimens d’infanterie indigène, une compagnie d’artillerie à pied, également indigène, et une batterie d’artillerie à cheval ; — à Mooradabad, un régiment d’infanterie indigène et quelques artilleurs à pied ; — à Shahjehanpore, mêmes forces ; — à Almorah, un régiment de Ghoorkas (soldats du Népaul ) et une compagnie d’artillerie : — six mille hommes en tout pour le Rohilcund. Les Ghoorkas seuls ne s’insurgèrent point.