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La bonne volonté de Mooltan-Khan n’écartait qu’une partie du péril, tant qu’on ne pouvait compter sur les mêmes dispositions chez les cavaliers en sous-ordre. L’un d’eux proposait insolemment à M. Edwards un troc de chevaux qu’il fallut décliner avec toute la courtoisie possible. Cet homme, indigné, chercha, sans y réussir, à provoquer le massacre des Européens, et, voyant que ses camarades s’y refusaient, il devança la petite troupe dans un village où elle devait passer, afin d’ameuter les paysans. Mooltan-Khan devina le projet, et par un habile circuit évita ce danger nouveau. Ses protégés arrivèrent sains et saufs à Kaïm-Gunge, où l’on se hâta de les cacher, et où ils apprirent que le malheureux Gibson avait été massacré et mis en pièces immédiatement après leur départ de Shumshabad.

Le nawab, qui sans doute avait cru se débarrasser d’eux pour jamais en les expédiant à son perfide collègue, n’hésita pas à leur déclarer qu’ils n’avaient rien à attendre de sa protection. La désastreuse exhibition du cachet de M. Edwards avait, disait-il, donné l’idée que les voyageurs étaient couverts de bijoux et de pierres précieuses. L’idée de les tuer pour les dépouiller ensuite était devenue immédiatement très populaire à Kaïm-Gunge, et pour le moment il ne fallait songer qu’à partir : dans quelle direction, il l’ignorait. Aucun guide ne se chargerait de les conduire. L’armée anglaise passait alors pour avoir été détruite devant Delhi, et la mort du général en chef, attribuée au choléra, était regardée comme un suicide. Bref, le nawab n’avait aucun secours à fournir, et tout au plus obtint-on de lui que, moyennant une cinquantaine de roupies, il procurât un mauvais bidet à M. Donald, dont le cheval blessé ne pouvait plus mettre un pied devant l’autre.

La situation des fugitifs était plus critique qu’elle ne l’avait jamais été. On leur montrait fermées toutes les routes, hormis celle de Futtehghur, et, laissés à eux-mêmes, ils se savaient hors d’état de gagner cet unique refuge. Après une ardente prière adressée en commun à l’Être providentiel, qui semblait jusqu’alors avoir veillé sur eux, M. Edwards manda le bon vieux tehseeldar qui déjà leur avait été si utile. Lui seul, par ses instantes remontrances, pouvait fléchir le nawab. Voudrait-il se charger de cette délicate mission ? L’honnête employé y consentit sans trop d’hésitation, mais aussi sans la moindre espérance de succès. « Si je réussis, dit-il à M. Edwards, vous me reverrez ; sinon, je ne reviendrai plus auprès de vous : il me serait trop pénible d’avoir à vous annoncer que toute chance de salut vous est enlevée. » Frappé de ces tristes paroles et s’estimant à peu près perdu, M. Edwards remit au tehseeldar, avant de le laisser s’éloigner, sa montre et le précieux anneau gravé qui lui avait joué un si mauvais tour, avec mission de les faire passer à